QUATRIEME PARTIE


CHAPITRE PREMIER
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QU'EST-CE QUE LE PERISPRIT ?

Nous avons démontré dans les chapitres précédents que l'âme est immortelle, c'est-à-dire que lorsque le corps qu'elle habitait pendant son passage sur la terre est détruit, elle n'est pas atteinte par ce changement, elle conserve son individualité et peut encore manifester sa présence par des interventions physiques. Ici se dresse une difficulté. Comment faire comprendre l'action de l'âme sur le corps ?

Suivant la philosophie et suivant les Esprits, l'âme est immatérielle, autrement dit, elle n'a aucun point de contact avec la matière que nous connaissons. On ne peut concevoir que l'âme ait des propriétés analogues à celles des corps de la nature, puisque la pensée qui en est l'image, l'émanation, échappe à toute mesure, à toute analyse physique ou chimique. Mais faut-il prendre le mot immatériel dans son sens absolu ? Non, car l'immatérialité véritable serait le néant ; mais cette âme constitue un être dont l'existence est telle que rien ici-bas ne saurait en donner une idée.

Afin de bien préciser notre pensée, nous désirons édifier nos lecteurs sur le sens de ce mot immatériel, pour qu'il ne prête pas à la confusion. Nous prétendons qu'aucun état de la matière ne peut nous faire comprendre celui de l'âme, et cependant la science est arrivée à des résultats surprenants comme division de la matière. Voici ce qui résulte des expériences de M. Crookes faites devant l'Académie des Sciences.

On sait que ce physicien a une théorie spéciale, d'après laquelle les molécules des corps gazeux peuvent se mouvoir suivant leurs forces propres, lorsqu'on diminue le nombre des molécules, en faisant le vide. Pour parvenir à ce résultat, il faut opérer avec une précision extrême et employer des manipulations nombreuses et compliquées. M. Crookes est arrivé à faire le vide de telle sorte que la pression de l'air restant dans le ballon est réduite à un millionième d'atmosphère. C'est dans ces conditions que se manifestent les caractères de l'état radiant.

Habituellement les phénomènes nouveaux, en physique ou en chimie, sont produits par addition de matière, il est curieux de constater qu'ici, au contraire, des effets d'une extrême énergie résultent d'une soustraction de matière ; c'est en la réduisant à presque rien, en la raréfiant au-delà du vraisemblable, que M. Crookes obtient ces singuliers phénomènes. Plus il enlève de matière, plus l'action devient saisissante : c'est la physique du néant au point que l'on est tenté de se demander s'il a le droit d'attribuer à la matière des effets aussi puissants, quand il a fait tant d'efforts pour s'en débarrasser. Il ne faut pas qu'il subsiste d'équivoque à cet égard et que nous jugions d'après l'impression de nos sens ce qui peut parfaitement leur échapper.

La nature s'étend bien au-delà de nos sensations, il faut donc nous mettre à l'abri contre nos erreurs. Lorsque les machines les plus perfectionnées ont enlevé d'un espace clos autant d'air, autant de gaz qu'il a été possible, il ne s'ensuit pas qu'il ne puisse en rester encore beaucoup. M. Crookes réduit le contenu de ses tubes à un millionième de l'air que nous connaissons et qui est si impalpable que nous le déplaçons à chaque instant, sans avoir conscience qu'il est autour de nous. Il semblerait que le millionième de si peu de chose reste pour nous moins que rien.

Ce jugement est fautif, comme nous allons le voir.

Le calcul montre que dans un ballon de 13 centimètres de diamètre, comme celui dont se sert M. Crookes, mais plein d'air à la pression normale, il existe au moins un septilion de molécules1.

1 000 000 000 000 000 000 000 000 000

Raréfier cet air au millionième, c'est diviser par un million le nombre précédent, il contient donc encore un quintillion de molécules, un quintillion !

C'est un chiffre énorme et nous voilà bien loin du néant. Pour donner une idée de ce nombre gigantesque, M. Crookes dit :

«Je prends le ballon dans lequel j'ai fait le vide et je le perce avec l'étincelle de la bobine d'induction. Cette étincelle produit une ouverture tout à fait microscopique, mais qui est pourtant assez grande pour permettre aux molécules gazeuses de pénétrer dans le ballon et de détruire le vide. Supposons que la petitesse des molécules soit telle qu'il en entre dans le ballon cent millions par seconde. Combien de temps croit-on qu'il faudra, dans ces conditions, pour que ce petit récipient d'air se remplisse ? Sera-ce une heure, un jour, une année, un siècle ? Il faudra une éternité, un temps si énorme que l'imagination est impuissante à le concevoir. Il faudra plus de 400 millions d'années, un temps tel, que, d'après les prévisions des astronomes, le soleil aura épuisé son énergie calorifique et lumineuse et sera déjà depuis longtemps éteint !»

Le calcul est, en effet, facile à faire, M. Crookes ne se trompe pas.

D'après M. Johnston Stoney, il existe dans un centimètre cube d'air un sextilion de molécules, le ballon de M. Crookes d'un diamètre de 13 centimètres renferme donc :

1,288,252,350,000,000,000,000,000

de molécules d'air à la pression normale. Lorsqu'on diminue la pression jusqu'à un millionième d'atmosphère le ballon contient encore :

1,288,252,350,000,000,000

de molécules. Les choses ne seront remises en l'état primitif que lorsqu'il sera rentré par l'ouverture ce qui en avait été retiré, c'est-à-dire

1,288,251,061,747,650,000,000,000

de molécules. S'il en passe par hypothèse cent millions à la seconde, voici ce que durera le défilé :

12.885.510.617.476.500 secondes, c'est-à-dire plus de 12 quatrillions de secondes.
214.708.510.291.275 minutes, ou bien 214 trillions de minutes.
3.578.475.171.521 heures, ou bien 3 trillions d'heures.
149.103.132.147 jours, ou bien 149 billions de jours.
408.501.731 années, ou bien 400 millions d'années.

Plus de 400 millions d'années !

La réalité est que le vide d'un ballon Crookes se comble en moins d'une heure 1/2, ce qui prouve que l'exiguïté des particules est si grande, qu'il doit en passer par seconde, dans l'ouverture la plus fine, non pas cent millions, mais 300 quintillions. Quelle infinie petitesse doivent avoir ces particules !

Eh bien, si quintessenciée que soit la matière, si menue et si impalpable que l'expérience nous la montre, elle est encore grossière vis-à-vis de l'esprit qui est une essence, un être infiniment plus subtil encore. C'est dans ce sens que nous entendons le mot immatériel appliqué à l'âme, qui est tellement impondérable, qu'elle ne peut avoir aucun point de contact avec la matière que nous connaissons sur la terre.

Cependant nous constatons dans l'homme l'alliage de ces deux éléments : le corps et l'âme. Ils sont unis d'une manière intime et réagissent l'un sur l'autre, ainsi que le démontre le témoignage journalier des sens et de la conscience. D'après ce que nous avons dit de l'âme, il semble qu'il y ait contradiction, mais elle est plus apparente que réelle, car l'homme n'est pas formé seulement du corps et de l'âme, mais encore d'un troisième principe intermédiaire entre l'un et l'autre appelé périsprit, c'est-à-dire enveloppe de l'esprit.

La nécessité de ce médiateur va être comprise de suite en mettant en parallèle la spiritualité de l'âme avec la matérialité du corps.

L'âme est immatérielle parce que les phénomènes produits par elle ne peuvent se comparer à aucune propriété de la matière. La pensée, l'imagination, le souvenir n'ont ni forme, ni couleur, ni dureté, ni malléabilité ; ces productions de l'esprit ne sont astreintes à aucune loi régissant le monde physique, elles sont purement spirituelles et ne peuvent ni se mesurer, ni se peser. L'âme échappe par sa nature à la destruction, puisqu'elle se manifeste dans toute sa plénitude après la désagrégation du corps, donc l'âme est immatérielle et immortelle.

Le corps est cette enveloppe du principe pensant, que nous voyons naître, croître et mourir. Les éléments qui le composent sont tirés de la matière qui forme notre globe. Lorsqu'ils ont, pendant un certain temps, séjourné dans l'organisme, ils cèdent la place à d'autres qui viennent les remplacer. Ces opérations se renouvellent jusqu'à la mort de l'individu ; alors les atomes qui composaient en dernier lieu le corps humain sont repris par la circulation de la vie et entrent dans d'autres combinaisons, en vertu de cette grande loi que rien ne se crée et que rien ne se perd dans la nature.

Le corps et l'âme sont donc essentiellement distincts : l'un remarquable par ses transformations incessantes, l'autre par l'immuabilité de son essence. Ils présentent des qualités radicalement opposées, et cependant nous constatons qu'ils vivent dans une harmonie parfaite et exercent des influences réciproques. La haine, la colère, la pitié, l'amour se reflètent sur le visage et impriment un caractère particulier à la physionomie. Dans les émotions violentes, c'est tout l'organisme qui est troublé : une joie subite ou une douleur imprévue peuvent déterminer des ébranlements tels que la mort s'ensuive. L'imagination agit aussi sur le physique avec une grande violence : c'est ce que démontrent les ouvrages de médecine qui traitent cette question, de sorte que, d'une part, ces effets étant bien constatés, d'autre part, l'âme étant immatérielle, le problème de leur action mutuelle est resté insoluble pour les philosophes.

Les plus grands esprits se sont appliqués à se rendre compte de l'action de l'âme sur le corps, mais ni Descartes, ni Malebranche, ni Spinoza, ni Leibniz, ni Euler, ne sont parvenus à une explication satisfaisante de ces faits.

Suivant Descartes, l'âme et le corps, par un dessein très sage de la Providence, suivent dans tout le cours de la vie deux lignes parallèles, et cependant leur nature les rend étrangers l'un à l'autre. Dieu modifie l'âme à la suite des mouvements du corps et il donne le mouvement au corps, à la suite des volontés de l'âme. Chaque substance est donc, non la cause, mais l'occasion des phénomènes qui se manifestent dans l'autre. Voilà pourquoi la théorie cartésienne a été appelée par les historiens : l'hypothèse des causes occasionnelles.

Suivant Leibniz, le corps et l'âme, tout en vivant séparément, ont reçu une organisation telle que les modifications qui se produisent dans l'un sont reproduites dans l'autre, à peu près de la même manière que les aiguilles de deux horloges bien réglées marquent toujours la même heure. Cette harmonie date de plus haut que le monde, elle a son fondement dans l'intelligence divine, c'est pourquoi on la nomme, d'après Leibniz, préétablie.

Le mathématicien Euler avait une théorie beaucoup plus vulgaire, celle de l'influx physique qui admet l'action directe et réciproque du corps sur l'âme.

Tous ces systèmes soulèvent de graves objections et ne résistent pas à la critique. Comment concilier les hypothèses de Descartes et de Leibniz avec le sentiment de notre moi, de notre activité personnelle, avec l'expérience journalière de l'empire que l'homme exerce sur la nature et que celle-ci possède sur l'homme ? Qui nous persuadera quand nous étendons le bras que nous ne sommes pas la cause de ce mouvement ?

Nous savons par l'expérience que le moindre acte de notre volonté, si fugitive qu'elle soit, se traduit par un geste, et que lorsque nous ressentons une douleur, c'est qu'il s'est produit une modification organique, et non parce que Dieu serait intervenu pour infliger à l'âme la souffrance subie par le corps.

Les doctrines de Descartes et de Leibniz, absolument insuffisantes à rendre compte des faits, sont, de plus, en contradiction avec l'expérience. La doctrine de l'influx physique est moins éloignée du sens commun, mais laisse à désirer en ce qu'elle n'offre aucune preuve, et ravale l'âme en lui enlevant de son immatérialité. Ainsi qu'on le voit, le problème est épineux, puisque des hommes de cette valeur n'ont pu le résoudre. Voici d'autres philosophes qui se rapprochent de notre manière de voir.

Un Anglais nommé Cudworth avait imaginé une substance intermédiaire entre l'âme et le corps qu'il nommait médiateur plastique, et dont le rôle consistait à unir l'esprit et la matière, en participant de la nature de tous deux. Cette théorie pourrait être acceptée, mais avec quelques modifications ; car nous ne pouvons admettre que l'âme, essence indivisible, s'allie au corps en cédant une partie de sa substance. De plus, la définition de Cudworth est trop vague ; c'est pourquoi nous préférons la manière de voir suivante qui est celle de quelques physiologistes ; ils disent :

«Toute action, soit continuelle et inconsciente, soit intermittente et volontaire de l'âme sur la matière pondérable du corps, s'exerce par certaines ondulations du fluide impondérable, ondulations qui ont pour conducteur le système nerveux, tant cérébro-spinal que ganglionnaire.»

C'est absolument notre pensée et nous ne pouvons mieux définir le rôle du périsprit qu'en l'assimilant à l'action d'un fluide impondérable qui exerce son influence par les nerfs.

La meilleure preuve à donner de l'existence du périsprit, c'est de montrer que l'homme peut se dédoubler dans certaines circonstances particulières. Si d'un côté on voit le corps matériel et de l'autre la reproduction exacte de ce corps, mais fluidique, le doute ne sera plus permis.

Le périsprit, comme nous le verrons par la suite, sert non seulement à expliquer l'action réciproque de l'âme sur le corps, mais aussi à nous faire comprendre quelle est la vie de l'esprit dégagé de la matière et habitant l'espace.

Jusqu'alors on n'avait que des idées vagues sur l'avenir de l'âme. Les religions et les philosophies spiritualistes se contentaient d'affirmer son immortalité sans donner aucun renseignement sur son mode de vie au-delà de la tombe. Pour les uns, l'éternité spirituelle se passait dans un paradis mal défini où l'on trouverait les délices réservées aux élus ; pour les autres, l'enfer était un lieu terrible, où les âmes subissaient d'effroyables tortures. De plus, les observations de la science s'arrêtant à la matière tangible, il en résultait entre le monde spirituel et le monde corporel, un abîme qui semblait infranchissable. C'est cet abîme que de nouvelles découvertes et l'étude de phénomènes peu connus viennent en partie combler.

Le spiritisme nous apprend que les relations entre les deux mondes ne sont pas interrompues, que constamment il y a échange entre les vivants et ceux que l'on a appelé les morts. Par la naissance, le monde spirituel fournit des âmes au monde corporel, et par la mort celui-ci restitue à l'espace les âmes qui étaient venues temporairement habiter la terre. Il y a donc de nombreux points de contact entre l'humanité et la spiritualité, et la distance qui semblait séparer le monde visible du monde invisible est diminuée considérablement.

Si nous montrons que ce monde est comme le nôtre formé de matière, que les Esprits ont aussi un corps matériel, les différences qui semblaient si radicales se réduiront à de simples nuances allant du plus au moins, mais nous ne trouverons plus d'anomalies choquantes.

La nature de l'âme nous est inconnue, mais nous savons qu'elle est entourée, circonscrite par un corps fluidique qui en fait après la mort un être distinct et individuel. L'âme est, suivant Allan Kardec, le principe intelligent considéré isolément ; c'est la force agissante et pensante que nous ne pouvons concevoir isolée de la matière que comme une abstraction. Revêtue de son enveloppe fluidique ou périsprit, l'âme constitue l'être appelé Esprit, comme lorsqu'elle est revêtue de l'enveloppe corporelle, elle constitue l'homme. Or, bien qu'à l'état d'esprit elle jouisse de propriétés et de facultés spéciales, elle n'a pas cessé d'appartenir à l'humanité. Les Esprits sont donc des êtres semblables à nous, puisque chacun de nous devient Esprit après la mort de son corps et que chaque Esprit redevient homme par la naissance.

Cette enveloppe n'est point l'âme, car elle ne pense pas : ce n'est qu'un vêtement ; sans l'âme, le périsprit, de même que le corps, est une matière inerte privée de vie et de sensation. Nous disons matière, parce qu'en effet le périsprit, quoique d'une nature éthérée et subtile, n'en est pas moins de la matière tout aussi bien que les fluides impondérables, et, de plus, matière de même nature et de même origine que la matière tangible la plus grossière. C'est ce que nous démontrons dans le second chapitre.

L'âme ne possède pas seulement ce vêtement à l'état d'esprit, elle est inséparable de cette enveloppe qui la suit dans l'incarnation et dans l'erraticité. Pendant la vie humaine, le fluide périsprital s'identifie avec le corps et sert de véhicule aux sensations venues du dehors et aux volontés de l'Esprit ; c'est celui qui pénètre le corps dans toutes ses parties ; mais à la mort, le périsprit se dégage avec l'âme dont il partage l'immortalité.

On pourrait peut-être contester l'utilité de cet organe en disant que l'âme peut agir directement sur le corps et notre théorie serait détruite ; mais comme nous nous appuyons sur des faits, comme notre conviction est le fruit de l'étude et de l'observation, et non une conception arbitraire, il ne dépend pas de nous de changer notre manière de voir. Ceci ressort clairement des faits qui sont exposés dans le chapitre suivant.


1 Ces calculs reposent sur des considérations empruntées à la thermodynamique. MM. Clausius et Clark Maxwel, par une série de déductions dans lesquelles nous ne pouvons entrer, ont déterminé la vitesse que possèdent les particules gazeuses pour une pression donnée, et, comme conséquence, le nombre de particules renfermées dans l'unité de volume.