CHAPITRE II
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PREUVES DE L'EXISTENCE DU PERISPRIT. - SON UTILITE. - SON ROLE.

Parmi les cas nombreux de bicorporéité de l'être humain, nous allons faire un choix, non seulement à cause de l'abondance des matières, mais aussi pour ne présenter au lecteur que des phénomènes bien constatés et d'une certitude incontestable. Empruntons aux adversaires du spiritisme le récit de ces manifestations. M. Dassier, dont nous avons déjà parlé dans la troisième partie de cet ouvrage, rapporte l'histoire suivante qui lui a été racontée lors de son passage à Rio de Janeiro.

«C'était en 1858 ; on s'entretenait encore, dans la colonie française de cette capitale, d'une apparition singulière qui avait eu lieu quelques années auparavant. Une famille alsacienne, composée du mari, de la fille encore en bas âge, faisait voile pour Rio de Janeiro, où elle allait rejoindre des compatriotes établis dans cette ville.

«La traversée étant longue, la femme devint malade, et faute sans doute de soins et d'une alimentation convenable, succomba avant d'arriver. Le jour de sa mort, elle tomba en syncope, resta longtemps dans cet état, et lorsqu'elle eut repris ses sens, elle dit à son mari qui veillait à ses côtés : «Je meurs contente, car maintenant je suis assurée sur le sort de notre enfant. Je viens de Rio de Janeiro, j'ai rencontré la rue et la maison de notre ami Fritz, le charpentier. Il était sur le seuil de la porte : je lui ai présenté la petite ; je suis sûre qu'à ton arrivée il la reconnaîtra et en prendra soin.» Quelques instants après, elle expirait. Le mari fut surpris de ce récit, sans toutefois y attacher d'importance.

«Le même jour et à la même heure, Fritz le charpentier, l'Alsacien dont je viens de parler, se trouvait sur le seuil de la porte qu'il habitait, à Rio de Janeiro, lorsqu'il crut voir passer dans la rue une de ses compatriotes tenant dans ses bras une petite fille. Elle le regardait d'un air suppliant et semblait lui présenter l'enfant qu'elle portait. La figure paraissant d'une grande maigreur rappelait néanmoins les traits de Lotta, la femme de son ami et compatriote Schmidt. L'expression de son visage, la singularité de sa démarche, qui tenait plus de la vision que de la réalité, impressionnèrent vivement Fritz. Voulant s'assurer qu'il n'était pas dupe d'une illusion, il appela un de ses ouvriers qui travaillait dans la boutique, et qui, lui aussi, était alsacien et de la même localité. «- Regarde, lui dit-il, ne vois-tu pas passer une femme dans la rue, tenant un enfant dans ses bras et ne dirait-on pas que c'est Lotta, la femme de notre pays Schmidt ?

«- Je ne puis vous dire, je ne distingue pas bien, reprit l'ouvrier.»

Fritz n'en dit pas davantage ; mais les diverses circonstances de cette apparition réelle ou imaginaire se gravèrent fortement dans son esprit, notamment l'heure et le jour. A quelque temps de là, il voit arriver son compatriote Schmidt, portant une petite fille dans ses bras. La visite de Lotta se retrace alors dans son esprit, et avant que Schmidt eût ouvert la bouche, il lui dit :

«- Mon pauvre ami, je sais tout ; ta femme est morte pendant la traversée, et avant de mourir elle est venue me présenter sa petite fille pour que J'en prenne soin. Voici la date et l'heure.»

C'était bien le jour et le moment consignés par Schmidt à bord du navire.

Faisons ici quelques remarques. Nous constaterons d'abord que le double fluidique reproduit identiquement les traits de l'individu chez lequel le phénomène se produit. La ressemblance est à ce point frappante, qu'elle permet à Schmidt de reconnaître la femme de son ami qu'il n'avait pas vue depuis longtemps.

Le second caractère à noter, c'est la rapidité avec laquelle se meut l'apparition, puisque le moment où elle a été remarquée par Schmidt coïncide avec la syncope de la malade à bord du navire. Troisièmement, il faut retenir cette particularité, que l'Alsacienne était plongée dans une sorte de léthargie pendant que son âme voyageait au loin.

Pour expliquer ce fait, les spirites admettent que le périsprit, ou enveloppe fluidique de l'âme, peut, dans certaines circonstances, se séparer du corps, auquel il est néanmoins retenu par un cordon fluidique. Le périsprit reproduit la forme du sujet, car, ainsi que nous le verrons plus loin, c'est à lui que nous devons de conserver notre type matériel et la constitution physique de notre corps. L'âme, dans ce cas, jouit d'une partie des facultés qu'elle possède lorsqu'elle est entièrement dégagée de la matière ; c'est ce qui nous explique la rapidité du déplacement de l'Alsacienne.

L'état maladif ou la syncope ne sont pas toujours nécessaires au dédoublement. Voici un autre fait rapporté par M. Gouguenot des Mousseaux auquel M. Dassier l'a emprunté. «Sir Robert Bruce, de l'illustre famille écossaise de ce nom, est second d'un bâtiment ; un jour, il vogue près de Terre Neuve, et, se livrant à des calculs, il croit voir son capitaine assis à son pupitre, mais il regarde avec attention, et celui qu'il aperçoit est un étranger dont le regard froidement arrêté sur lui le surprend. Le capitaine près duquel il remonte s'aperçoit de son étonnement et l'interroge.

«- Mais qui est donc à votre pupitre ? lui dit Bruce.

«- Personne.

«- Si, il y a quelqu'un, est-ce un étranger ?... et comment ?

«- Vous rêvez ou vous raillez ?

«- Nullement, veuillez descendre et venir voir. On descend et personne n'est assis devant le pupitre, le navire est fouillé en tous sens ; il ne s'y rencontre aucun étranger.

«- Cependant celui que j'ai vu écrivait sur votre ardoise ; son écriture doit y être restée, dit Robert Bruce.

«On regarde l'ardoise, elle porte ces mots : steer to the north-west, c'est-à-dire gouvernez au nord-ouest.

«- Mais cette écriture est de vous ou de quelqu'un du bord ?

«- Non.

«Chacun est prié d'écrire la même phrase et aucune écriture ne ressemble à celle de l'ardoise.

«- Eh bien ! obéissons au sens de ces mots, gouvernez le navire au nord-ouest ; le vent est bon et permet de tenter l'expérience.

«Trois heures après, la vigie signalait une montagne de glace et voyait, y attenant, un vaisseau de Québec, démantelé, couvert de monde, cinglant vers Liverpool et dont les passagers furent amenés par les chaloupes du bâtiment de Bruce.

«Au moment où l'un de ces hommes gravissait le flanc du Vaisseau libérateur, Bruce tressaillit et recula, fortement ému. C'était l'étranger qu'il avait vu traçant les mots de l'ardoise. Il raconte à son capitaine le nouvel incident.

«- Veuillez écrire steer to the north-west sur cette ardoise, dit au nouveau venu le capitaine, lui présentant le côté que ne recouvre aucune écriture.

«L'étranger trace les mots demandés.

«- Bien ; vous reconnaissez là votre main courante, dit le capitaine, frappé de l'identité des deux écritures.

«- Mais vous m'avez vu vous-même écrire, vous serait-il possible d'en douter ?

«Pour toute réponse, le capitaine retourne l'ardoise, et l'étranger reste confondu, voyant des deux côtés sa propre écriture.

«- Auriez-vous rêvé que vous écriviez sur cette ardoise ? dit à celui qui vient d'écrire le capitaine du vaisseau naufragé.

«- Non, du moins je n'en ai nul souvenir.

«- Mais que faisait à midi ce passager ? demande à son confrère le capitaine sauveur.

«- Etant très fatigué, ce passager s'endormit profondément, et autant qu'il m'en souvient, ce fut quelque temps avant midi. Une heure au plus, après, il s'éveilla et me dit : «Capitaine, nous serons sauvés aujourd'hui même !» ajoutant : «J'ai rêvé que j'étais à bord d'un vaisseau et qu'il venait à notre secours.» Il dépeignit le bâtiment et, son gréement ; et ce fut à notre grande surprise, lorsque vous cinglâtes vers nous, que nous reconnûmes l'exactitude de sa description. Enfin ce passager dit à son tour : «ce qui me semble étrange, c'est que ce que je vois ici me paraît familier, et cependant je n'y suis jamais venu !»

Le dédoublement de la personnalité est aussi manifeste. ici que dans le premier cas, les conditions sont presque les mêmes : le corps est profondément endormi. Cependant deux remarques nous conduisent un peu plus loin dans la voie des découvertes. En premier lieu, le souvenir de ce qui s'est passé pendant ce voyage de l'âme semble effacé, ou du moins ne présente à l'esprit que des réminiscences vagues ; le passager reconnaît le navire qu'il visite sans pouvoir comprendre comment cela se fait, puisqu'il n'y est jamais venu. Ce n'est plus une ardente volonté, qui a déterminé le phénomène, comme chez Lotta ; aussi le fait a-t-il moins de netteté au point de vue de la mémoire, mais il présente une autre particularité qu'il est nécessaire de signaler.

Dans l'exemple de l'Alsacienne, Schmidt voit sa compatriote, elle lui présente son enfant d'un air suppliant, mais le charpentier serait incapable de dire si c'est une apparition ou bien réellement la femme de son ami qu'il a remarquée. Dans le second cas, le personnage fluidique écrit, ce n'est donc plus seulement une vague apparence : c'est une personne tangible et qui jouit d'une certaine force pour diriger un crayon sur une ardoise. Ce point est certainement important, car il y a matérialisation de la seconde personnalité du sujet, et nous allons voir que, dans beaucoup de cas, c'est ainsi que les choses se passent.

Voici un récit emprunté au cours de magnétisme du baron du Potet.

«Le fait suivant est bien attesté et peut être rangé parmi les phénomènes les plus difficiles à expliquer dans l'ordre du spiritisme. Il a été publié dans le manuel des amis de la religion, pour 1814, par Jung Stilling, auquel il a été rapporté comme une expérience personnelle par le baron de Sulza, chambellan du roi de Suède.

«Ce baron raconte qu'ayant été rendre visite à un voisin, il revint chez lui vers minuit, heure à laquelle, en été, il fait assez clair en Suède pour qu'on puisse lire l'impression la plus fine. «Comme j'arrivai, dit-il, dans mon domaine, mon père vint à ma rencontre devant l'entrée du parc ; il était vêtu comme d'habitude et il tenait à la main une canne que mon frère avait sculptée. Je le saluai et nous conversâmes longtemps ensemble. Nous arrivâmes ainsi jusqu'à la maison et à l'entrée de sa chambre. En y entrant, je vis mon père déshabillé, couché dans son lit et profondément endormi ; au même instant l'apparition s'était évanouie. Peu de temps après, mon père s'éveilla et me regarda d'un air d'interrogation. «Mon cher Edouard, me dit-il, Dieu soit béni de ce que je te voie encore sain et sauf, car j'ai été bien tourmenté, à cause de toi, dans mon rêve ; il me semblait que tu étais tombé dans l'eau, et que tu étais en danger de te noyer.» Or, ce jour-là, ajoute le baron, j'étais allé avec un de mes amis à la rivière pour pêcher des crabes et je faillis être entraîné par le courant. Je racontai à mon père que j'avais vu son apparition à l'entrée du domaine et que nous avions eu ensemble une longue conversation. Il me répondit qu'il arrivait souvent des faits semblables.»

Cette anecdote présente une circonstance bien remarquable. Le fantôme humain parle avec son fils pendant longtemps. Nous avons vu tout à l'heure que la main périspritique du passager était réelle, qu'elle écrivait : ici c'est l'organe vocal qui fonctionne, nous pouvons donc en conclure que dans l'un comme dans l'autre cas, le périsprit était matérialisé, au moins en partie. Le double fluidique reproduit donc absolument toutes les parties du corps du sujet, il en est la copie exacte, ou plutôt, ainsi que nous le constaterons plus loin, c'est le canevas impondérable sur lequel se modèle le corps de l'incarné.

Cette manière de voir est d'autant plus exacte que nous allons remarquer dans l'histoire suivante la présence simultanée du sujet et de son double, dans des circonstances qui nous aideront à découvrir des aspects caractéristiques de ces phénomènes.

«Sir Robert Dale Owen était ambassadeur de la République des Etats-Unis à Naples. En 1845, raconte ce diplomate, existait en Livonie le pensionnat de Neuwelke, à douze lieues de Riga et une demi-lieue de Womar. Là se trouvaient quarante-deux pensionnaires, la plupart de familles nobles, et parmi les sous-maîtresses figurait Emilie Sagée, Française d'origine, âgée de trente-deux ans, de bonne santé, mais nerveuse et de conduite méritant tous les éloges. Peu de semaines après son arrivée, on remarqua que quand une pensionnaire disait l'avoir vue dans un endroit, souvent une autre affirmait qu'elle était à une place différente. Un jour les jeunes filles virent tout à coup deux Emilie Sagée exactement semblables et faisant les mêmes gestes : l'une cependant tenait à la main un crayon de craie et l'autre rien.

«Peu de temps après, Antoinette de Wrangel faisant sa toilette, Emilie lui agrafa sa robe par derrière ; la jeune fille vit dans un miroir, en se retournant, deux Emilie agrafant ses vêtements, et s'évanouit de peur. Quelquefois aux repas, la double figure paraissait debout, derrière la chaise de la sous-maîtresse et imitant les mouvements qu'elle faisait pour manger ; mais les mains ne tenaient ni couteau ni fourchette. Cependant la personne dédoublée ne semblait imiter qu'accidentellement la personne réelle, et quelquefois lorsque Emilie se levait de sa chaise, l'être dédoublé paraissait y être assis. Une fois, Emilie étant souffrante et alitée, Mlle de Wrangel lui faisait la lecture. Tout à coup la sous-maîtresse devint raide, pâle, et parut près de s'évanouir. La jeune élève lui demanda si elle se trouvait plus mal ; elle répondit négativement, mais d'une voix faible. Quelques secondes après, Mlle de Wrangel vit très distinctement la double Emilie se promener çà et là dans l'appartement.

«Mais voici le plus remarquable exemple de bicorporéité que l'on ait observé chez la merveilleuse sous-maîtresse. Un jour, les quarante-deux pensionnaires brodaient dans une même salle au rez-de-chaussée, et quatre portes vitrées de cette salle donnaient sur le jardin. Elles voyaient dans ce jardin Emilie cueillant des fleurs, lorsque tout à coup sa figure paraît dans un fauteuil devenu vacant. Les pensionnaires regardèrent immédiatement dans le jardin, et continuèrent d'y voir Emilie ; mais elles observèrent la lenteur de sa locomotion et son air de souffrance ; elle était comme assoupie et épuisée.

«Deux des plus hardies s'approchèrent du double, et essayèrent de le toucher ; elles sentirent une légère résistance, qu'elles comparèrent à celle de quelque objet en mousseline ou en crêpe. L'une d'elles passa au travers d'une partie de la figure ; et après que la pensionnaire eut passé, l'apparence resta la même quelques instants encore, puis disparut enfin, mais graduellement... Ce phénomène se reproduisit de différentes manières aussi longtemps qu'Emilie occupa son emploi, c'est-à-dire en 1845 et 1846, pendant le laps d'une année et demie ; mais il y eut des intermittences d'une à plusieurs semaines. On remarqua d'ailleurs que plus le double était distinct et d'une apparence matérielle, plus la personne réellement matérielle était gênée, souffrante et languissante ; lorsque, au contraire, l'apparence du double s'affaiblissait, on voyait la patiente reprendre ses forces. Emilie, du reste, n'avait aucune conscience de ce dédoublement, et ne l'apprenait que par ouï-dire, jamais elle n'a vu ce double, jamais elle n'a soupçonné l'état dans lequel il la jetait. Ce phénomène ayant inquiété les parents, ceux-ci rappelèrent leurs enfants et l'institution s'écroula.»

Un fait ressort évident de cette narration ; c'est la connexion intime qui existe entre l'état du corps et celui du double. Quand le périsprit devient moins vaporeux, plus solide, le corps s'affaiblit et prend un air languissant, au contraire le périsprit devient-il fluidique, l'organisme matériel reprend ses forces. Ceci indique qu'il existe un lien entre le corps et son double. M. Damier l'appelle un réseau vasculaire invisible. Allan Kardec enseigne depuis longtemps que, pendant le sommeil, l'âme se dégage du corps, mais qu'elle y est toujours retenue par un cordon fluidique, et que, s'il venait à se rompre, la mort du sujet serait instantanée.

Emilie Sagée, d'une constitution très nerveuse, était sujette au dégagement de l'âme, mais le fait est remarquable en ce sens que le dédoublement s'opérait même pendant l'état de veille, alors que ce dégagement n'a lieu d'ordinaire que lorsque le corps est plongé dans le sommeil.

Si l'on veut bien se reporter aux cas de somnambulisme lucide que rapporte le docteur Charpignon, on comprendra la série ascendante qui se manifeste dans ces différents phénomènes. Dans le somnambulisme, naturel ou provoqué, l'âme se dégage du corps, parce que celui-ci, plongé dans le sommeil, a une vie moins active, ce qui permet à l'esprit de s'échapper un moment de son enveloppe et de voir ce qui se passe à distance.

Dans le cas de dédoublement, l'âme se dégage de même pendant le sommeil, mais tantôt, elle se matérialise d'une manière imparfaite, comme nous l'avons vu pour la femme alsacienne, tantôt, au contraire, elle prend un aspect tout à fait matériel et peut écrire et parler. Si le phénomène est encore plus accentué, la bicorporéité se manifeste sans que le sujet soit endormi, ainsi que le prouve l'histoire précédente, mais alors plus le double acquiert de tangibilité et plus la sous-maîtresse est faible et languissante.

Ces remarques confirment de point en point l'enseignement d'Allan Kardec. Nous trouvons, en effet, dans le Livre des Esprits l'explication rationnelle de tous ces cas singuliers. L'âme est retenue au corps par son périsprit, qui a pour conducteur le système nerveux ; il s'ensuit que toutes les modifications apportées à ce système ayant pour but de paralyser son action favoriseront le dégagement de l'âme1.

Dans les récits que nous avons reproduits, une chose surtout semble étrange : c'est la facilité avec laquelle le double fluidique passe au travers des corps matériels. Sans doute, il y a là un phénomène extraordinaire, mais qui n'est pas sans rencontrer d'analogue dans la nature. La lumière et la chaleur se propagent à travers certaines substances, l'électricité chemine le long d'un conducteur, et nous savons par les expériences de M. Cailletet et Sainte-Claire-Deville que les gaz passent facilement à travers les parois d'un tube fortement chauffé. Tous les corps sont poreux, leurs molécules ne se touchant pas peuvent livrer passage à un corps étranger. Les Académiciens de Florence avaient mis ce point en lumière en opérant une violente pression sur de l'eau enfermée dans une sphère d'or ; au bout de très peu de temps on voyait le liquide transsuder par petites gouttes sur la surface de la sphère. Nous constatons par ces différents exemples que la matière peut traverser la matière. Dans les cas que nous venons de citer, il faut employer la pression ou la chaleur pour faire dilater les substances que l'on veut faire traverser par d'autres. Ceci est nécessaire parce que les molécules du corps traversant n'ont pas acquis le degré nécessaire de dilatation, elles sont en quelque sorte trop serrées les unes contre les autres. Mais si nous supposons un état de la matière, tel que les molécules soient beaucoup moins rapprochées et que ces molécules soient éminemment ténues, cette matière pourra alors traverser toutes les substances sans avoir besoin d'aucune manipulation. C'est ce qui arrive pour le périsprit, qui étant formé de molécules moins condensées que la matière que nous connaissons, ne peut être arrêté par aucun obstacle.

Une seconde propriété du périsprit paraît inexplicable. On comprend difficilement qu'une vapeur très raréfiée, un fluide impondérable, puisse malgré sa ténuité garder une forme déterminée. Lorsque la fumée s'échappe d'un foyer, elle ne tarde pas à se répandre dans l'atmosphère en devenant peu à peu invisible. Comment se fait-il que le périsprit, qui est formé de matière infiniment plus raréfiée, se présente néanmoins sous un aspect nettement déterminé ?

Une expérience curieuse va nous mettre sur la voie de l'explication.

En admettant l'idée de la matière, M. William Thompson, pour expliquer le retour d'une substance à son état primitif, lorsqu'elle se dégage d'une combinaison, assimile les mouvements du milieu élastique, qu'il nomme matière, à celui de ces tourbillons de fumée en forme d'anneaux que l'on voit se produire dans la combustion de l'hydrogène phosphoré, ou quelquefois s'échapper de la cheminée d'une locomotive au départ.

On a imaginé un appareil qui permet d'obtenir ces couronnes à volonté et, en leur donnant de grandes dimensions, d'en étudier la forme. Une caisse en bois percée en avant d'une ouverture circulaire renferme deux vases, dont l'un contient une dissolution d'alcali volatil et l'autre de l'acide chlorhydrique du commerce. Les gaz qui s'échappent de ces solutions produisent, en se combinant, d'abondantes fumées qui remplissent la boîte. Un coup sec appliqué sur le drap formant la paroi opposée à l'ouverture chasse la fumée qui s'échappe en produisant une belle couronne qui se propage en ligne droite.

M. Helmholtz, qui a étudié les tourbillons, a montré que les particules de fumée roulent sur elles-mêmes et exécutent des mouvements de rotation, allant de l'intérieur à l'extérieur dans le sens de la propagation et s'exécutant autour d'un axe circulaire qui forme pour ainsi dire le noyau des tourbillons. De là M. Helmholtz passe au cas d'un milieu dans lequel il n'y aurait aucun frottement ; il montre que les anneaux se déplaceront et changeront de forme sans que rien vienne détruire les liaisons qui existent entre les parties constituantes.

Nous déduirons de là qu'il existe des états de la matière où, une forme étant donnée, elle se conserve indéfiniment, à la condition que cette matière soit soumise à une force constante et n'éprouve aucun frottement. C'est ce qui se présente pour le périsprit dont la matière raréfiée peut être envisagée comme n'ayant aucun frottement à subir, en raison de sa nature éthérée, de sorte que nous pouvons concevoir qu'elle conserve un type déterminé en vertu de sa constitution moléculaire. Nous pouvons pousser plus loin encore l'analogie.

Des expériences effectuées en Angleterre ont montré que si on déforme ces anneaux, ils tendent à reprendre la forme circulaire ; si on place sur leur trajet une lame, ils s'infléchissent autour d'elle, sans se laisser entamer, en offrant ainsi l'image matérielle de quelque chose d'indivisible et d'insécable. De plus, deux anneaux se mouvant suivant une même ligne peuvent se traverser sans perdre leur individualité propre ; l'anneau qui est en retard se contracte pendant que sa vitesse augmente ; il traverse celui qui le précède, puis se dilate, à son tour, et ainsi de suite.

Ainsi ces anneaux se pénètrent mutuellement, passent au travers l'un de l'autre, sans rien perdre de leur autonomie, sans être même déformés. La matière, dans cet état peu raréfié, lequel est loin d'atteindre à l'extrême ténuité du périsprit, jouit donc de propriétés qui nous révèlent les lois encore peu connues qui dirigent les évolutions du double fluidique, et nous comprendrons sans peine, par analogie, que le périsprit puisse traverser tous les corps, comme la lumière passe au travers des corps transparents2.

Dans les exemples cités jusqu'ici, nous voyons l'âme et son enveloppe, mais nous ne pouvons encore déterminer toutes les propriétés de ce corps fluidique, car il est rattaché à l'organisme matériel et ne jouit pas entièrement de sa liberté d'action. Pour en connaître la composition et le fonctionnement, il faut étudier l'âme lorsque, débarrassée de son enveloppe grossière, elle se meut librement dans l'espace. C'est ce que nous nous proposons de faire dans le chapitre suivant, et là nous expliquerons comment le double fluidique peut devenir visible et matériel.

La connaissance du périsprit jette un jour nouveau sur bien des phénomènes de la physiologie. On ne peut étudier l'homme sans rencontrer un premier moteur, invisible et intangible : la vie. Cette force développe l'être suivant un plan déterminé. Geoffroy Saint-Hilaire disait : «Le type suivant lequel la vie forme le corps, dès l'origine, est aussi celui suivant lequel elle l'entretient et le répare. La vie est à la fois formatrice, conservatrice et réparatrice, toujours conformément à ce modèle idéal, règle invariable de tous ses actes.»

Ce modèle idéal est-il contenu dans l'être matériel qui change et se transforme sans cesse ? Evidemment non, il lui est extérieur, ou plutôt c'est en lui que viennent s'incorporer les molécules matérielles, il est le canevas fluidique de l'être. Si nous réfléchissons, en effet, aux transformations multiples, incessantes, auxquelles le corps est soumis, nous comprendrons la nécessité de cette force directrice qui assigne aux atomes matériels la place qu'ils doivent occuper. Comment concevoir que le cerveau, instrument si fragile, si compliqué, dont la substance se renouvelle continuellement, puisse fonctionner d'une manière constante, s'il n'existait un modèle fluidique dans lequel les molécules matérielles viennent s'incorporer ?

A la mort du corps, ce double n'existant plus, tout s'affaisse, se dégrade et se détruit, dans un laps de temps très court. C'est ce canevas fluidique qui, différent suivant les individus, conserve à chacun sa structure particulière, les formes générales du corps et de la physionomie qui le font reconnaître pendant le cours de son existence.

Nous avons vu dans la première partie que les matérialistes ne peuvent expliquer la transformation de la sensation en perception. Eh bien ! avec la notion du périsprit tout devient simple et compréhensible.

Nous savons que les nerfs sensitifs aboutissent tous dans une partie du cerveau qu'on appelle les couches optiques ; là, chaque appareil sensoriel possède un noyau de cellules ganglionnaires qui est relié à la périphérie corticale par des fibres blanches. Ceci rappelé, voyons comment les excitations extérieures pénètrent et cheminent dans l'organisme, lorsqu'il s'agit d'un phénomène auditif ou visuel qui met en activité les cellules de la rétine ou du nerf acoustique. Que se passe-t-il alors dans l'intimité des conducteurs nerveux ?

Immédiatement ces ébranlements transmis de proche en proche mettent en jeu les activités spécifiques, c'est-à-dire les propriétés spéciales des diverses cellules qui composent les ganglions des couches optiques. Les cellules du centre optique entrant en vibration les transmettent à la couche corticale par les fibres rayonnantes et, arrivées là, ces vibrations, qui sont jusqu'à ce moment de simples mouvements moléculaires, rencontrent le double fluidique et lui communiquent l'ébranlement. Dès lors, ce mouvement ondulatoire se propage jusqu'à l'âme qui en a conscience. C'est cette connaissance que l'on nomme la perception ; elle ne pourrait avoir lieu si l'intermédiaire fluidique n'existait pas.

Il ne faut pas oublier que le périsprit n'est pas un corps homogène ; il possède des parties presque matérielles, qui touchant à l'organisme, et des parties presque immatérielles qui tiennent à l'âme. Pour faire comprendre notre pensée, nous le comparerons à une vapeur contenue dans un tube. Cette vapeur, très condensée à sa base, va en se raréfiant de plus en plus à mesure qu'elle s'élève. Il existe ainsi une série d'états intermédiaires depuis la matérialité jusqu'à la spiritualité. C'est en quelque sorte une teinte fondue allant du noir, qui représenterait le corps, jusqu'au blanc qui serait l'âme.

En résumé, le périsprit est donc formé de fluides à différents degrés de condensation, depuis les fluides matériels, qui adhèrent au cerveau, jusqu'aux fluides spirituels qui se rapprochent de la nature de l'âme. De sorte que si une vibration ébranle un nerf sensitif, celui-ci la transmet aux couches optiques, qui la réfléchissent vers le sensorium ; arrivée là, cette vibration agit sur le fluide périsprital qui, de proche en proche, en avertit l'esprit.

Ainsi que le pensent les physiologistes dont nous avons parlé plus haut, ce sont les ondulations du fluide périsprital qui transmettent les sensations à l'âme, et réciproquement la volonté de l'âme se manifeste aux organes par des ondulations en sens inverse des premières, qui vont de la partie la plus épurée à la partie la plus matérielle. Arrivées à la surface des couches corticales, les ondulations impressionnent les cellules du sensorium et mettent en action l'énergie nerveuse qui y est contenue ; celle-ci, sous forme de décharge nerveuse, traverse les noyaux du corps strié où elle acquiert une force plus grande, et se distribue ensuite dans les nerfs moteurs, suivant les volontés de l'âme.

Si notre théorie est juste, c'est-à-dire si une sensation met un certain temps pour parcourir les nerfs, et un autre temps pour arriver du cerveau à l'âme, on doit pouvoir mesurer le temps nécessaire à ce voyage. C'est ce qui a été fait, ainsi que nous allons le montrer.

Voici le principe de la méthode :

Dans une chambre noire se trouve un observateur qui est chargé, au moment où il verra une lumière, de faire un certain signal. On note avec une extrême précision le moment exact de l'apparition de la lumière et celui où l'observateur fait le geste convenu.

Comme la distance de l'observateur au foyer lumineux est très courte, et que la lumière parcourt 75.000 lieues à la seconde, le temps employé par le rayon lumineux pour parvenir à l'oeil est insignifiant, de sorte que l'on peut admettre qu'aussitôt que la lumière est produite elle frappe la rétine.

Le temps qui s'écoule entre le moment où l'observateur a vu la lumière et celui où il fait le signal convenu est donc la mesure du temps que l'excitation a mise pour parvenir de la rétine à la couche corticale du cerveau, du cerveau à l'âme, et pour revenir de l'âme aux organes du corps qui font le signal.

Or, comme on sait, d'après les savants travaux de Helmholtz, que la sensation parcourt les filets nerveux avec une vitesse de 30 mètres à la seconde, il suffit de retrancher du temps total que l'on a inscrit : 1° le temps employé par la sensation pour parvenir de la rétine à la périphérie du cerveau ; 2° le temps employé par la volonté pour partir de la périphérie du cerveau et agir sur le membre qui fait le signal, pour obtenir le temps employé par la sensation pour traverser deux fois l'organe périsprital.

Ce sont ces chiffres que publie M. Hirsch, de Neufchatel. Voici les résultats qu'il a trouvés :

Pour la vision 0"1974 à 0"2083
pour l'audition 0"194
pour le toucher 0"1733

En prenant la moitié de ces nombres, nous avons le temps employé pour que la sensation traverse le périsprit, c'est-à-dire soit transformée en perception. Ces mesures n'ont pas seulement un intérêt théorique, elles ont encore une grande valeur pratique pour l'astronome observateur. Lorsque celui-ci étudie, par exemple, le passage d'un astre au méridien et qu'il calcule la durée de ce passage vu à travers le télescope, au moyen des oscillations du pendule à seconde, il commet toujours une petite erreur provenant du temps nécessaire à chacune des impressions visuelles pour se faire percevoir. Cette erreur n'est pas exactement la même pour deux expérimentateurs différents ; si l'on veut rendre comparable entre elles les observations de divers astronomes, il faut connaître cette différence, c'est-à-dire l'équation personnelle de chacun d'eux.

Si le périsprit n'existait pas, ces différences n'auraient pas lieu et la perception se ferait avec une égale rapidité pour tous, mais le double fluidique étant plus ou moins épuré, c'est-à-dire plus ou moins radiant, les sensations y cheminent avec une vitesse variable. On pourrait se demander comment il se fait que l'âme agisse d'une manière assez efficace sur le périsprit pour déterminer des mouvements du corps qui décèlent parfois une grande force mécanique que l'âme serait impuissante à produire. N'est-il pas étonnant de voir que l'esprit, par sa volonté, peut faire accomplir au corps les travaux les plus rudes, qu'un hercule soulève à bras tendu des poids très lourds ? Si, comme nous l'indiquons, le point de départ de cette énergie est dans l'âme, on pourrait croire que cette dernière est trop faible pour produire de tels effets. Nous répondrons avec M. Luys que :

«Les processus de la motricité volontaire commencent par être une incitation purement psychique et deviennent insensiblement, par le jeu naturel des rouages de l'organisme, une incitation physique. En se transformant ainsi dans leur évolution successive, ils offrent le tableau saisissant que nous voyons se présenter incessamment sous nos yeux, dans la mise en action d'une machine à vapeur.

«Ne voyons-nous pas, en effet, dans ce cas, comment une force, minime au début, est susceptible de se transformer et devenir, par la série des appareils qu'elle met en jeu, l'occasion d'un développement de puissance mécanique gigantesque.

«Au moment, en effet, de mettre la machine en activité, ne suffit-il pas d'une force même faible, de la simple intervention de la main du mécanicien qui soulève un levier et lâche la vapeur sur la face supérieure du piston ? Cette force vive, en liberté, développe immédiatement sa puissance, qui est proportionnelle à la surface sur laquelle elle se répand, le piston s'abaisse, sa tige entraîne le balancier ; la mise en branle se développe avec les volants, et le mouvement initial, si faible au début, s'amplifie et grandit sans cesse, à mesure que le volume et la puissance des appareils mis à sa disposition deviennent plus considérables et plus puissants.»

L'âme c'est la main du mécanicien, la force c'est l'énergie vitale, ou fluide nerveux contenu dans les différents appareils du cerveau, de la moelle épinière et des nerfs.

Ainsi l'expérience nous a fait constater qu'il existe dans l'homme un organe fluidique, qui est le moule sur lequel se modèle le corps humain. Dans certaines circonstances le périsprit peut se dégager de l'enveloppe à laquelle il est attaché pendant la vie et se matérialiser assez pour se faire voir et agir à distance.

Ces phénomènes n'étaient pas inconnus des anciens. Voici, en effet, ce que nous lisons dans les histoires de Tacite, chapitres 81 et 82.

«Pendant les mois que Vespasien passa dans Alexandrie pour attendre le retour périodique des vents d'été et la saison où la mer devient sûre, plusieurs prodiges arrivèrent par où se manifesta la faveur du ciel et l'intérêt que les dieux semblaient prendre à ce prince.

«Ces prodiges redoublèrent dans Vespasien le désir de visiter le séjour sacré des dieux, pour les consulter au sujet de l'Empire. Il ordonne que le temple soit fermé à tout le monde. Entré lui-même et tout entier à ce qu'allait prononcer l'oracle, il aperçoit derrière lui un des principaux Egyptiens nommé Basilide, qu'il savait être retenu malade, à plusieurs journées d'Alexandrie. Il s'informe auprès des prêtres si Basilide est venu ce jour-là au temple, il s'informe auprès des passants si on l'a vu dans la ville, enfin il envoie des hommes à cheval et il s'assure que, dans ce moment-là même, il était à quatre-vingts milles de distance. Alors il ne douta plus que la vision ne fût réelle, et le nom de Basilide lui servit d'oracle.»

Les Annales catholiques relatent plusieurs faits de dédoublement qui se produisirent chez de pieux personnages. Alphonse de Liguori fut canonisé avant le temps voulu, pour s'être montré à deux endroits différents, ce qui passa pour un miracle. Il est vrai que pour le même fait de pauvres femmes qualifiées de sorcières furent brûlées par le Saint-Office.

Saint Antoine de Padoue prêchait en Espagne, au moment où son père résidant à Padoue, en Italie, était traîné au supplice, accusé d'un meurtre. A ce moment, saint Antoine paraît, démontre l'innocence de son père et fait connaître le véritable coupable qui, plus tard, subit le châtiment. Il fut constaté que saint Antoine prêchait dans le même moment en Espagne. M. Dassier cite le cas de saint François Xavier, se trouvant à la fois dans deux embarcations pendant une tempête et encourageant ses compagnons tout le temps que ceux-ci furent en danger. Voici la relation de ce prodige d'après ses biographes.

«Saint François Xavier se rendait au mois de novembre 1571, du Japon en Chine, lorsque, sept jours après le départ, le navire qui le portait fut assailli par une violente tempête. Craignant que la chaloupe ne fût emportée par les vagues, le pilote ordonna à quinze hommes de l'équipage d'amarrer cette embarcation au navire. La nuit étant venue pendant qu'on travaillait à cette besogne, les matelots furent surpris par une lame et disparurent avec la chaloupe. Le saint s'était mis en prières dès que la tempête avait commencé, et celle-ci allait toujours redoublant de fureur. Cependant, ceux qui étaient restés sur le navire se souvinrent de leurs compagnons de la chaloupe et crurent qu'ils étaient perdus.

«Quand le danger fut passé, Xavier les exhorta à prendre courage, assurant qu'avant trois jours on les retrouverait. Le lendemain il fit monter sur le mât, mais on ne découvrit rien. Le saint rentra alors dans sa cabine et se remit à prier. Après avoir passé ainsi la plus grande partie du jour, il remonta sur le pont plein de confiance et annonça que la chaloupe était sauvée. Néanmoins, comme le lendemain on n'aperçoit rien encore, l'équipage du navire, se voyant toujours en danger refusa d'attendre plus longtemps des compagnons qu'ils considéraient comme perdus. Mais Xavier ranima de nouveau leur courage, les conjurant par la mort du Christ de patienter encore. Puis rentré dans sa cabine, il se remit à prier avec un redoublement de ferveur.

«Enfin après trois longues heures d'attente, on vit apparaître la chaloupe, et bientôt les quinze matelots qu'on croyait perdus eurent rejoint le navire. D'après le témoignage de Mendès Pinto, on vit alors se produire un fait des plus singuliers. Quand les hommes de la chaloupe furent montés sur le pont du navire et que le pilote voulut la repousser, ceux-ci s'écrièrent qu'il fallait auparavant laisser sortir Xavier qui était avec eux. C'est en vain qu'on chercha à leur persuader qu'il n'avait pas quitté le bord. Ils affirmèrent qu'il était resté avec eux pendant la tempête, ranimant leur courage et que c'était lui qui avait conduit l'embarcation vers le navire. Devant un tel prodige, tous les matelots furent persuadés que c'était aux prières de Xavier qu'ils devaient d'avoir échappé à la tempête. Il est plus rationnel d'attribuer le salut du navire aux manoeuvres et aux efforts de l'équipage. Mais tout fait présumer que la chaloupe n'eût pu rejoindre le navire si elle n'avait eu pour pilote le saint lui-même, ou plutôt sa doublure.»

Nous ne reproduirons pas les nombreux exemples de bicorporéité que nous trouvons dans les livres spéciaux, ceux que nous avons cités suffisent pour établir d'une manière péremptoire l'existence du périsprit. La physiologie, comme nous l'avons vu, s'unit à l'observation et à la philosophie pour démontrer l'existence, dans l'homme, d'une doublure fluidique qui est le moule du corps, son type, et qui, ne variant pas comme la matière, conserve, tout en suivant les évolutions de l'être, la physionomie et l'individualité.

C'est dans le périsprit que se gravent les souvenirs, c'est en lui que les connaissances s'incorporent et c'est parce qu'il est immuable qu'au milieu des incessantes transformations dont le corps est l'objet, nous conservons le souvenir de ce qui s'est passé dans un temps lointain. C'est lui qui constitue l'identité de l'être, c'est avec lui que l'on vit, que l'on pense, que l'on aime, que l'on prie. C'est enfin avec lui que nous nous retrouvons au lendemain de la mort, dégagés seulement de la matière terrestre, mais conservant nos habitudes, nos goûts, notre manière de voir, enfin identiques, sauf le corps, à ce que nous étions sur la terre.

Ceci nous fait comprendre que le monde des esprits est absolument comme le nôtre, qu'il renferme des êtres à tous les degrés de l'échelle intellectuelle, depuis les sauvages ignorants, jusqu'aux hommes versés dans l'étude des sciences. Nous expliquons de même par l'immortalité de cette enveloppe comment le progrès peut s'accomplir. Il est évident que plus le périsprit est épuré, plus les sensations sont vives. L'âme agit sur son enveloppe fluidique par la volonté, que nous avons constaté, avec Claude Bernard, être une force toute-puissante. Le cerveau humain, qui n'est que la reproduction matérielle de cette partie du fluide périsprital, est en quelque sorte un instrument sur lequel l'esprit joue ; plus l'appareil est parfait, plus le résultat obtenu est beau ; absolument comme un artiste possédant un bon violon fera entendre de ravissantes mélodies.

Par l'instruction, nous développons certaines cases du cerveau, certaines parties dans lesquelles viennent s'enregistrer les acquis intellectuels ; or ces modifications sont reproduites par le périsprit. Il s'ensuit qu'à la mort nous emportons notre bagage scientifique et moral et que, lorsque nous venons nous réincarner, nous avons en germe dans le cerveau tout ce que nous y avons fixé antérieurement. C'est pourquoi nous voyons parfois de jeunes enfants nous étonner par la précocité de leur intelligence et l'aptitude qu'ils possèdent à s'assimiler toutes les sciences. Dans ce cas on peut être certain que pour cet enfant, comme le disait Platon, apprendre c'est se souvenir.

Mais de même que nous apportons sur la terre les qualités précédemment conquises, nous avons aussi des vices qui ne nous quittent pas et contre lesquels il faut lutter énergiquement pour s'en débarrasser. C'est cet ensemble de vertus et de passions qui constitue l'individualité de chaque homme, et l'on comprend la diversité des intelligences, dès la naissance, avec notre système, alors que toutes les philosophies restent muettes sur ce point. L'âme dès la conception forme son enveloppe, non pas peut-être d'une manière consciente, mais néanmoins effective. C'est pendant la gestation que l'esprit fluidifie la mère, qu'il s'incorpore petit à petit les éléments qui doivent former son corps humain et que le cerveau matériel se modèle sur le cerveau du périsprit. Les défauts physiques d'une incarnation antérieure peuvent parfois avoir affecté le double fluidique de telle manière que les modifications organiques se reproduisent encore dans l'incarnation suivante. De là ces enfants qui naissent infirmes, difformes, malgré la bonne santé et l'excellente constitution de leurs parents.

Un des phénomènes les plus curieux de la biologie, c'est l'atavisme, c'est-à-dire la reproduction dans une race de certains caractères appartenant aux ancêtres, mais ayant disparu chez leurs descendants. Darwin rapporte de remarquables et avoue ne pouvoir s'expliquer cette singularité. Si nous étendons aux animaux les mêmes théories, si nous supposons qu'ils ont un principe intelligent revêtu aussi d'une doublure fluidique qui reproduise exactement la forme du corps, nous comprendrons aisément que l'animal qui se réincarne au bout d'un certain temps, apporte les caractères physiques qu'il avait pendant son passage antérieur sur la terre ; mais comme ses congénères ont progressé, il apparaît alors comme une anomalie.

Les hommes présentent, au point de vue moral, et même physique, des cas semblables. Les esprits routiniers et arriérés que l'on trouve toujours opposés à toute idée de progrès, sont des âmes qui n'ont pas encore suffisamment progressé et qui donnent des exemples d'atavisme intellectuel.

En résumé, nous dirons, avec Allan Kardec, que l'individu qui se montre simultanément dans deux endroits différents a donc deux corps ; mais de ces deux corps un seul est permanent, l'autre n'est que temporaire ; on peut dire que le premier a la vie organique et que le second a la vie de l'âme ; au réveil, les deux corps se réunissent, et la vie de l'âme rentre dans le corps matériel. On a dû remarquer dans les histoires rapportées plus haut qu'il ne paraît pas possible que, dans l'état de séparation, les deux corps puissent jouir simultanément, et au même degré, de la vie active et intelligente. Néanmoins les exemples d'Antoine de Padoue, de Xavier paraissent contredire cette loi. Il faut probablement attribuer ces divergences aux chroniqueurs qui, frappés de ces faits étranges, ont voulu les rendre plus mystérieux encore en leur attribuant une simultanéité absolue.

Il ressort, en outre, de ces phénomènes que le corps réel ne pourrait pas mourir, tandis que le corps apparent resterait visible ; l'approche de la mort rappelant toujours l'esprit dans le corps, ne fût-ce que pour un instant. Il en résulte également que le corps apparent ne saurait être tué, puisqu'il n'est pas formé, comme le corps matériel, de chair et d'os.

Charles Bonnet, le disciple de Leibniz, avait déjà entrevu l'existence du périsprit et sa nécessité. Voici ce qu'il écrivait dans différents livres qu'il a publiés3.

«En étudiant, avec quelque soin, les facultés de l'homme, en observant leur dépendance mutuelle ou cette subordination qui les assujettit les uns aux autres et à l'action de leurs objets, nous parvenons facilement à découvrir quels sont les moyens naturels par lesquels elles se développent et se perfectionnent ici-bas. Nous pouvons donc concevoir des moyens analogues et plus efficaces qui porteraient ces facultés à un plus haut degré de perfection.

«Le degré de perfection auquel l'homme peut atteindre sur la terre est en rapport direct avec les moyens qui lui sont donnés de connaître et d'agir. Ces moyens sont eux-mêmes en rapport direct avec le monde qu'il habite actuellement.

«Un état plus relevé des facultés humaines n'aurait donc pas été en rapport avec ce monde dans lequel l'homme devait passer les premiers moments de son existence. Mais ces facultés sont infiniment perfectibles et nous concevons fort bien que quelques-uns des moyens naturels qui les perfectionneront un jour peuvent exister dès à présent dans l'homme.

«Aussi puisque l'homme était appelé à habiter successivement deux mondes différents, sa constitution originelle devait renfermer des choses relatives à ces deux mondes. Le corps animal devait être en rapport direct avec le premier monde, le corps spirituel avec le second.

«Deux moyens principaux pourront perfectionner dans le monde à venir toutes les facultés de l'homme : des sens plus exquis et de nouveaux sens.

«Les sens sont la première source de nos connaissances. Nos idées les plus réflectives, les plus abstraites dérivent toujours de nos idées sensibles. L'esprit ne crée rien, mais il opère presque sans cesse sur cette multitude presque infinie de sensations diverses qu'il acquiert par le ministère des sens.

«De ces opérations de l'esprit, qui sont toujours des comparaisons, des combinaisons, des abstractions, naissent, par une génération naturelle, toutes les sciences et tous les arts.

«Les sens destinés à transmettre à l'esprit les impressions des objets sont en rapport avec les objets. L'oeil est en rapport avec la lumière, l'oreille avec le son, etc..

«Plus les rapports que les sens soutiennent avec leurs objets sont parfaits, nombreux, divers, et plus ils manifestent à l'esprit de qualité des objets, et plus encore les perceptions de ces qualités sont claires, vives, complètes, plus l'esprit s'en forme une idée distincte.

«Nous concevons fort bien que nos sens actuels sont susceptibles d'un degré de perfectionnement fort supérieur à celui que nous leur connaissons ici-bas et qui nous étonne chez certains sujets. Nous pouvons même nous faire une idée assez nette de cet accroissement de perfection par les effets prodigieux des instruments d'optique et d'acoustique.

«Qu'on se figure, comme moi, Aristote observant une mite avec un microscope ou contemplant avec nos télescopes Jupiter et ses lunes ; quels n'eussent point été sa surprise et son ravissement !

«Quels ne seront point aussi les nôtres, lorsque revêtus de notre corps spirituel, nos sens auront acquis toute la perfection qu'ils pouvaient recevoir de l'auteur bienfaisant de notre être !»

Ces déductions sont d'autant mieux justifiées que nous allons constater que l'esprit, dégagé du corps, possède des perceptions dont nous ne pouvons nous faire une idée ici-bas. Son enveloppe périspritale lui permet de percevoir des vibrations qui nous sont inconnues, ce qui détermine chez lui des connaissances autres et en plus grand nombre que chez les hommes. Il est bien entendu que nous parlons toujours des esprits assez élevés déjà pour être affranchis des entraves grossières de leur périsprit matériel. Quant aux autres, ils sont, comme nous allons le voir, ignorants de tout ce qui se passe autour d'eux et en connaissent moins sur l'univers et ses lois que beaucoup de savants de notre monde.


1 Voici, en effet, ce que nous lisons dans la Revue de 1859, page 137 :
Madame Schultz, une de nos amies, qui est parfaitement de ce monde, et ne paraît pas devoir le quitter de sitôt, ayant été évoquée pendant son sommeil, nous a plus d'une fois donné la preuve de la perspicacité de son esprit dans cet état. Un jour, ou mieux une nuit, après un entretien elle dit : «Je suis fatiguée ; j'ai besoin de repos ; je dors ; mon corps en a besoin.»
Là-dessus, on lui fit cette question : Votre corps peut reposer, en vous parlant je ne le dérange pas ; c'est votre esprit qui est ici et non votre corps, vous pouvez donc vous entretenir avec moi, sans que celui-ci en souffre. Elle répondit :
«Vous avez tort de croire cela ; mon esprit se détache bien un peu de mon corps, mais il est comme un ballon captif qui est retenu par des cordes. Lorsque le ballon reçoit des secousses occasionnées par le vent, le poteau qui le tient captif ressent les commotions des secousses transmises par les attaches. Mon corps tient lieu de poteau à mon esprit, avec la différence qu'il éprouve des sensations inconnues au poteau et que ces sensations fatiguent beaucoup le cerveau ; voilà pourquoi mon corps, comme mon esprit, a besoin de repos.»
Cette explication, à laquelle elle nous a déclaré que, pendant la veille, elle n'avait jamais songé, montre parfaitement les relations qui existent entre le corps et l'esprit, alors que ce dernier jouit d'une partie de sa liberté.
Ceci toutefois ne nous paraissait qu'une ingénieuse comparaison, lorsque tout dernièrement cette figure a pris les proportions de la réalité.
M. R., ancien ministre résident des Etats-Unis près le roi de Naples, homme très éclairé sur le spiritisme, étant venu nous voir, nous a demandé si, dans les phénomènes des apparitions, nous n'avions jamais observé une particularité distinctive entre l'esprit d'une personne vivante et celui d'une personne morte ; en un mot, si, lorsqu'un esprit apparaît spontanément soit pendant la veille, soit pendant le sommeil, nous avons un moyen de reconnaître si la personne est morte ou vivante. Sur notre réponse que nous n'en connaissions pas d'autre que de le demander à l'esprit, il nous dit connaître en Angleterre un médium voyant, doué d'une grande puissance qui, chaque fois que l'esprit d'une personne vivante se présente à lui, remarque qu'une traînée lumineuse partant de la poitrine, traverse l'espace sans être interrompue par les obstacles matériels, et va aboutir au corps, sorte de cordon ombilical, qui unit les deux parties momentanément séparés de l'être vivant. Il ne l'a jamais remarqué quand la vie corporelle n'existe plus, et c'est à ce signe qu'il reconnaît si l'esprit est celui d'une personne morte ou encore vivante.»
L'existence de ce cordon fluidique a depuis cette époque été constatée bien souvent. C'est donc un fait acquis.
La comparaison si juste du ballon captif montre l'intime union du corps et du périsprit, de telle sorte que toute modification de l'un se répercute dans l'autre. Nous verrons plus loin les conséquences de cette remarque.


2 Nous pouvons rapprocher de ces observations les curieuses expériences que Zoellner a faites en compagnie de Slade. Les voici racontées par M. Eugène Nus. - Nous citons textuellement :
«M. Zoellner s'étant procuré deux anneaux en bois tourné, d'une seule pièce, diamètre intérieur 74 millimètres, enfile ces anneaux dans une corde à violon, fixe la corde sur la table avec de la cire dans laquelle il appose son cachet et les laisse pendre le long de la table. Son désir était de voir les anneaux s'entrelacer, Il s'assoit avec Slade posant les deux mains sur la corde cachetée. Un guéridon était devant eux.
«Après quelques minutes d'attente, écrit Zoellner, nous entendîmes à la petite table ronde placée en face de nous un bruit, comme si des pièces de bois tapotaient l'une contre l'autre. Nous nous levâmes pour nous rendre compte de ce bruit, et, à notre grand étonnement, nous trouvâmes les deux anneaux qui, environ six minutes auparavant, étaient enfilés dans la corde à violon, encerclant la jambe de la petite table, et en parfait état. Ainsi, ajoute M. Zoellner, une expérience préparée ne réussit pas de la manière prévue ; les anneaux ne furent pas entrelacés ensemble, et, au lieu de cela, furent transférés de la corde à violon cachetée, au pied de la table ronde en bambou.
«Il y a eu encore ici désagrégation momentanée de la matière des anneaux et recomposition de ces anneaux autour du pied de la table. Quelque extraordinaires que puissent paraître ces faits, ils sont cependant réels, à moins d'accuser l'illustre savant d'en imposer au public.»


3 Voyez dans les Essais de psychologie, dans les Contemplations de la nature, et dans la Palingénésie philosophique.