CHAPITRE II
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LES MEDIUMS ECRIVAINS.

Les médiums écrivains sont ceux qui nous transmettent par l'écriture les pensées des invisibles ; ils sont, sans contredit, les plus utiles instruments de communication avec les esprits. Cette faculté est la plus simple, la plus commode et la plus complète de toutes. C'est vers elle que doivent tendre tous les efforts des néophytes, car elle leur permet de correspondre avec les esprits d'une manière régulière et suivie. On doit s'y attacher d'autant plus que, par ce moyen, les esprits révèlent leur nature et le degré de leur perfection ou de leur infériorité. Par la facilité qui leur est offerte de s'exprimer, ils peuvent nous faire connaître leur pensée et nous mettent ainsi à même de les juger et de les apprécier à leur propre valeur. Il est indispensable d'étudier patiemment cette faculté, parce que c'est elle qui est le plus susceptible de se développer par l'exercice.

Il peut se présenter trois genres différents qu'il est indispensable de distinguer au point de vue des manifestations. Les médiums peuvent être : mécaniques, demi-mécaniques ou intuitifs.

Médiumnité mécanique.

La médiumnité mécanique est caractérisée par la passivité absolue du médium pendant la communication. L'esprit qui se manifeste agit indirectement sur la main, par les nerfs qui y correspondent ; il donne à celle-ci une impulsion complètement indépendante de la volonté du médium ; elle marche ainsi sans interruption, aussi longtemps que l'esprit a quelque chose à dire et ne s'arrête que lorsqu'il a fini.

Les mouvements de la personne qui reçoit la communication sont purement automatiques. Ce qui semble établir ce fait, c'est que nous avons vu maintes fois des médiums de cette sorte soutenir une conversation pendant que leur main écrivait machinalement. L'inconscience, dans ce cas, constitue la médiumnité mécanique ou passive, et ne peut laisser aucun doute sur l'indépendance de la pensée de celui qui écrit.

Les mouvements sont quelquefois violents et convulsifs, le plus souvent ils sont calmes et mesurés.

Les brusques soubresauts observés peuvent provenir de l'imperfection ou de l'inexpérience de l'esprit qui se manifeste. Jusqu'ici, on n'a donné que des explications assez vagues sur ce mode de communication, et celles qui ont été présentées ne peuvent faire comprendre certaines particularités du phénomène.

Nous venons de voir que la médiumnité mécanique consiste à écrire sous l'influence des esprits des communications dont on n'a pas conscience, et dont on ne peut prendre connaissance que lorsque l'influence spirituelle a cessé. Comment cette action se produit-elle, et pourquoi, si le médium est véritablement passif, certains mots, certaines phrases de la communication, sont-ils identiques à ceux qu'emploient le médium à l'état ordinaire ? Il semble qu'il y a là un point obscur qui demande à être éclairci.

Pour répondre à ces observations en restant sur le terrain des analogies scientifiques, nous croyons que l'on peut concevoir le phénomène comme une action réflexe du cerveau du médium, sous une influence spirituelle. Afin de développer cette idée, il faut rappeler quelques faits physiologiques qui viennent à l'appui de cette hypothèse. Pour cela, jetons un rapide coup d'oeil sur le système nerveux de l'homme et sur certaines de ses fonctions. Cette étude préliminaire est indispensable, car nous savons que ce système est l'organe par lequel l'esprit est attaché au corps ; il sert de conducteur aux fluides périspritaux, comme le fil télégraphique à l'électricité ; c'est lui qui transmet à l'âme par les sens toutes les impressions venant de l'extérieur, c'est donc par l'étude de son fonctionnement que nous arriverons à nous faire une idée de la manifestation des esprits, dans le cas particulier qui nous occupe.

Le système nerveux de la vie de relation, le seul qui nous intéresse, comprend deux parties distinctes ; les masses centrales, ou arbre cérébro-spinal, et les filets périphériques ou nerfs. Les masses centrales se séparent en plusieurs subdivisions ; les deux principales sont le cerveau, qui porte à sa base les couches optiques et le cervelet, et la moelle épinière qui se rattache au cerveau par la moelle allongée. Les nerfs partent de la moelle épinière et de la partie inférieure du cerveau et vont se ramifier et s'épanouir dans toutes les parties du corps. Ce sont eux qui transportent au centre les excitations reçues à la surface, avec une vitesse de 30 mètres à la seconde, et qui transmettent aux membres les volontés de l'esprit.

Dans la moelle épinière on remarque deux sortes de cellules nerveuses ; les unes, petites, sont en communication avec les racines des nerfs sensitifs ; les autres, plus grosses, avec les racines des nerfs moteurs. Expliquons maintenant ce que nous entendons par une action réflexe simple.

On appelle action réflexe une action nerveuse qui se produit sans l'intervention de la conscience ni de son organe, le cerveau. Dans l'homme nous citerons comme exemple de réflexes les battements du coeur et les opérations de la digestion. Pour comprendre le mécanisme de ces actions, faisons une expérience.

Si l'on coupe la tête d'une grenouille et que l'on irrite une des pattes avec un acide, nous observons qu'immédiatement cette patte sera contractée. Que se passe-t-il ? Lorsque nous irritons la patte, les nerfs sensitifs qui s'y trouvent transmettent aux petites cellules de la moelle l'excitation reçue ; celles-ci, à leur tour, influencent les grosses cellules des nerfs moteurs avec lesquels elles communiquent, de sorte que l'excitation revient à son point de départ sous forme d'incitation motrice et détermine la contraction.

Nous voyons donc que la moelle est un véritable centre, indépendant, nécessaire, et suffisant pour produire certains mouvements très bien coordonnés.

Le savant M. Maudsley appelle centres sensorio-moteurs les différentes agglomérations de matière grise, situées dans la moelle allongée et à la base du cerveau, c'est-à-dire que ces centres sont capables de produire des actions réflexes sur les organes des sens.

D'un autre côté, nous savons que la volonté est un irritant vital par excellence ; nous avons démontré, avec Claude Bernard, son efficacité. Ceci bien constaté, voyons ce qui se produit dans le cas de la médiumnité mécanique.

Les Esprits, par leur volonté, puisent chez les médiums le fluide vital qui leur est nécessaire pour établir l'harmonie entre leur périsprit et celui du médium. Il s'opère un mélange et un échange des deux fluides. Ils forment une espèce d'atmosphère fluidique qui enveloppe le cerveau du médium et qui aboutit à leur propre périsprit par une sorte de cordon fluidique. Il y a donc, à partir de ce moment, un intermédiaire entre eux et l'incarné, et c'est au moyen de ce conducteur qu'ils transmettent à son cerveau leurs pensées et leurs volontés ; de sorte que, pour dicter une communication, ils n'ont plus qu'à vouloir. L'atmosphère fluidique dont nous parlons peut être comparée à la couche électrique qui s'accumule lentement dans un condensateur. Le médium joue le rôle d'instrument et l'esprit celui de l'opérateur.

On pourrait s'étonner de voir un cordon fluidique servir de véhicule aux vibrations périspritales déterminées par la pensée, mais il ne faut pas oublier que ce phénomène est analogue à celui qui se produit dans le photophone imaginé par Graham Bell. Le célèbre inventeur américain a construit un appareil dans lequel la lumière sert de véhicule au son. Dans le téléphone, le mouvement de la plaque vibratoire devant laquelle on parle change le magnétisme d'un aimant. Cette modification détermine un mouvement électrique qui, réagissant sur l'aimant de l'appareil récepteur, actionne à son tour la plaque dont les vibrations reproduisent un son identique à celui qui a été émis dans l'embouchure de l'appareil transmetteur. Mais dans le photophone, plus de fil de communication ; il est remplacé par un rayon lumineux, lequel, en se déformant dans l'embouchure, transporte les vibrations de la voix à la lame vibrante du récepteur, qui reproduit un son identique à celui émis à l'autre station.

Nous pouvons donc parfaitement comprendre comment une vibration, partie de l'esprit, se propage au moyen d'un cordon fluidique jusqu'à l'appareil récepteur, qui est le périsprit de l'incarné. Arrivées là, ces vibrations agissent sur le cerveau de l'incarné à la manière ordinaire. Ceci admis, voyons ce qui se passe chez le médium. Il est, aussitôt que le phénomène commence, absolument inconscient. Momentanément son cerveau est presque en totalité à la disposition de l'esprit, et celui-ci s'en sert sans que l'incarné ait conscience des idées qui s'y agitent. C'est une véritable action réflexe déterminée par une influence spirituelle, au moyen de l'intermédiaire du fluide nerveux.

Cette théorie peut expliquer pourquoi certains esprits donnent des communications où se trouvent des fautes d'orthographe ou de style, alors que de leur vivant ils n'en eussent pas fait. C'est tout simplement parce qu'ils ne trouvent pas dans le cerveau du médium un instrument assez parfait pour rendre leurs idées. Nous savons par les expériences de Schiff que les impressions sensorielles sont localisées dans certaines parties de la couche cérébrale des hémisphères, et que plus on développe par l'étude les facultés de l'esprit, plus les cellules sont sensibles ; de sorte que plus un médium est instruit, plus son cerveau est impressionnable et, au contraire, plus sa culture intellectuelle a été négligée, moins il est apte à rendre les inspirations de ses guides.

Supposons, par exemple, que l'esprit qui se manifeste veuille exprimer cette phrase : Dieu est la cause efficiente de l'univers ; il fera vibrer les cellules nerveuses des hémisphères cérébraux du médium, de manière à lui faire écrire cette phrase ; mais si l'incarné n'a pas fixé dans son cerveau le mot efficiente, il le rendra par toute autre expression à peu près équivalente, comme celle-ci : Dieu est la cause agissante de l'univers, et si cette opération se reproduit un grand nombre de fois, l'esprit aura bien dicté une belle communication, mais elle aura été mal rendue par l'organe. De même le plus grand musicien, s'il n'a à sa disposition qu'un instrument imparfait, ne parviendra jamais, malgré tout son talent, à faire entendre une pure mélodie.

Ici nous prévoyons une objection qu'on ne manquera pas de nous faire, c'est la suivante : On a très souvent vu des médiums recevoir une communication dans une langue qui leur est inconnue, par exemple l'anglais, et même écrire des pages entières dans cet idiome. Pour répondre à cette observation, nous dirons que le médium doit avoir, dans une incarnation antérieure, habité le pays où s'emploie la langue dont l'esprit se sert, et qu'il a gardé dans son périsprit la trace de ce passage. Ce sont ces réminiscences inconscientes que l'esprit réveille pour un instant, et dont il fait usage. Ceci est conforme à ce que nous avons remarqué dans le chapitre du périsprit, relativement aux progrès rapides dont certains enfants donnent l'exemple ; nous les avons attribués aux facultés acquises, renfermées dans le périsprit à l'état latent.

Il faut aussi tenir compte, dans ce genre de manifestation, de la souplesse du médium, c'est-à-dire de l'aptitude qu'il a à rendre certaines idées. Si l'esprit trouve un cerveau bien meublé, il peut développer sa pensée, mais s'il veut parler sur un sujet absolument inconnu du médium, il trouve plus difficilement le moyen de le faire. Nous avons des exemples d'incarnés recevant des communications malgré leur ignorance de l'art d'écrire, mais ils sont rares, et les esprits préfèrent se servir de bons instruments pour manifester leurs désirs.

Afin de rentrer dans le cas le plus ordinaire, nous dirons que nous devons nous préparer par l'étude à demander des communications à nos guides. Plus nous fixerons dans notre périsprit de connaissances qui modifieront la texture de notre cerveau, plus nous serons capables d'exprimer les instructions des invisibles qui s'intéressent à nos travaux. Ce qui semble appuyer cette théorie de l'action réflexe, c'est que nous avons souvent entendu dire par les esprits : «Nous avons préparé son cerveau à recevoir nos impressions, et c'est aujourd'hui seulement que nous avons réussi à nous manifester.»

Telle est, suivant nous, l'explication de la médiumnité mécanique. Elle nous a été suggérée par cette remarque que les médiums peu instruits, tout en donnant souvent de splendides communications au point de vue moral, faisaient en écrivant des fautes grossières que l'esprit n'aurait pu commettre s'il avait eu la libre disposition de ses propres organes ; elles doivent donc provenir de l'intermédiaire. Nous avions songé un instant à expliquer la médiumnité par une action directe de l'esprit sur le bras du médium, mais nous avons dû y renoncer, par suite des raisons que nous venons d'exposer.

Passons maintenant à une autre variété du phénomène.

Médiumnité intuitive.

Dans ces communications il n'y a plus aucune action réflexe, l'esprit n'exerce pas une action effective sur le cerveau du médium, il ne lui enlève pas la conscience, il se contente de lui transmettre les vibrations périspritales qui représentent sa pensée, et l'incarné les ressent sous forme d'idées ; de là, cette dénomination de médiumnité intuitive donnée à ce genre de manifestation.

L'esprit étranger n'agit pas ici sur la main du médium, par l'entremise du cerveau, pour le faire écrire ; il ne la guide pas, il se manifeste plus directement. Sous cette impulsion, l'incarné dirige sa main et écrit les pensées qui lui sont suggérées. Remarquons une chose importante, c'est que l'esprit étranger ne se substitue pas à l'âme de l'incarné, car il ne saurait la déplacer ; il la domine et lui imprime sa volonté.

Nous avons vu tout à l'heure que le photophone transmet les vibrations sonores par l'intermédiaire d'un rayon lumineux ; ici l'action est identique. L'esprit étranger, par sa volonté, imprime au cordon fluidique des mouvements ondulatoires qui se répercutent dans le périsprit du médium ; là ces vibrations arrivant au cerveau périsprital, font vibrer les parties analogues à celles par lesquelles elles ont été émises chez l'esprit, de sorte que ces vibrations semblables éveillent des idées de même nature. C'est ce qui se passe d'ailleurs dans le cas de la parole. Lorsque l'on prononce le mot homme, les vibrations sonores arrivant au cerveau le font vibrer d'une certaine manière qui évoque dans l'esprit de celui qui écoute l'idée représentée par le mot homme. Les vibrations périspritales agissent de même, mais sans passer, dans le cas qui nous occupe, par les organes matériels de l'audition. C'est ainsi, du moins, que nous concevons la transmission de pensée. Dans cette circonstance le rôle de l'âme incarnée n'est pas passif ; c'est elle qui reçoit la pensée de l'esprit et qui la transmet. Le médium, dans ce genre de communication, a donc conscience de ce qu'il écrit, quoique ce ne soit nullement sa pensée.

S'il en est ainsi, dira-t-on, rien ne prouve que ce soit plutôt un esprit étranger qui écrit que celui du médium. La distinction est quelquefois très difficile à faire, mais on peut reconnaître la pensée suggérée en ce qu'elle n'est jamais préconçue ; elle se forme, pour ainsi dire, à mesure que l'on écrit, et souvent elle est contraire à l'idée préalable qu'on s'était faite ; elle peut même être, en ce cas, en dehors des connaissances du médium.

Allan Kardec a parfaitement distingué ces deux variétés de médiumnité : il dit que le rôle du médium mécanique est celui d'une machine, tandis que le médium intuitif agit comme le ferait un truchement ou interprète. Celui-ci, en effet, pour transmettre la pensée des interlocuteurs, doit la comprendre, se l'approprier en quelque sorte, pour la traduire fidèlement ; et pourtant cette pensée n'est pas la sienne, elle ne fait que traverser son cerveau ; tel est exactement ce qui se passe chez le médium intuitif.

Remarquons que là encore le développement intellectuel de l'intermédiaire est indispensable pour qu'il puisse exprimer correctement les idées qu'il reçoit. Comme c'est lui qui écrit, qui rédige, il peut donner aux pensées suggérées une forme plus ou moins littéraire, suivant ses études ou ses capacités. C'est donc surtout au point de vue moral, et par des preuves qu'elles fournissent, qu'il faut juger les communications et ne pas trop s'attacher au style qui peut parfaitement être défiguré par l'interprète.

Nous venons d'exposer deux genres de médiumnités bien tranchés, mais en réalité elles ne se présentent pas toujours avec cette netteté. C'est plutôt les deux termes extrêmes d'une série d'états, variant du plus au moins. Quelquefois le médium est plus mécanique qu'intuitif ; d'autres fois, au contraire, il penche vers la seconde de ces facultés ; enfin il peut se rencontrer des personnes qui jouissent à la fois des deux modes de manifestations : on les appelle demi-mécaniques. Il est aisé de comprendre que la nature fluidique de chaque individu n'étant pas la même, l'action spirituelle ne s'exerce pas d'une manière identique sur tous les organismes ; elle présente une foule de nuances qui ne peuvent être définies, et que chacun reconnaît par l'exercice.

Nous sommes tous plus ou moins médiums intuitifs. Qui n'a ressenti, dans le calme profond d'une belle soirée, ces influences mystérieuses et bienfaisantes qui rafraîchissent le coeur ? D'où viennent ces pensées si douces, ces rêves enchanteurs, ces aspirations vers l'idéal que nous éprouvons à certaines époques de la vie ? Elles nous sont inspirées par ces chers aimés qui voguent autour de nous, qui nous entourent de leur sollicitude, et qui sont si heureux lorsqu'ils nous voient suivre les conseils qu'ils nous soufflent tout bas.

Ce que les artistes, les écrivains, les orateurs appellent l'inspiration est encore une preuve de l'intervention des esprits qui nous influencent en bien ou en mal, mais elle est plutôt le fait de ceux qui nous veulent du bien et dont nous avons souvent le tort de ne pas suivre les bons avis ; elle s'applique à toutes les circonstances de la vie dans les résolutions que nous devons prendre ; sous ce rapport on peut dire que tout le monde est médium. Si l'on était bien pénétré de cette vérité, on aurait plus souvent recours à l'inspiration de ses guides dans les moments difficiles de la vie. Evoquons-les donc avec ferveur, ces chers amis, et nous serons étonnés des résultats que nous obtiendrons, et soit que nous ayons une décision à prendre ou un travail difficile à mener à bien, nous ressentirons leur bienfaisante influence.

Les explications théoriques que nous avons données sont absolument confirmées par les esprits, et elles s'appuient sur les communications de nos guides et l'enseignement d'Allan Kardec. Nous trouvons, en effet, dans le livre des Médiums, au paragraphe 225, l'étude suivante dictée par un Esprit :

«Quelle que soit la nature des médiums écrivains, qu'ils soient mécaniques, demi-mécaniques ou simplement intuitifs, nos procédés de communication ne varient pas très sensiblement. En effet, nous communiquons avec les esprits incarnés eux-mêmes, comme avec les esprits proprement dits, par le seul rayonnement de notre pensée.

«Nos pensées n'ont pas besoin du vêtement de la parole pour être comprises par les esprits, et tous ils perçoivent la pensée que nous désirons leur communiquer, par cela seul que nous dirigeons cette pensée vers eux, et ce en raison de leurs facultés intellectuelles, c'est-à-dire que telle pensée peut être comprise par tels et tels, suivant leur avancement spirituel, tandis que chez tels autres, cette pensée ne réveillant aucun souvenir, aucune connaissance au fond de leur coeur ou de leur cerveau, n'est pas perceptible pour eux.

«Dans ce cas, l'esprit incarné qui nous sert de médium est plus propre à rendre notre pensée pour les autres incarnés, bien qu'il ne la comprenne pas, qu'un esprit désincarné peu avancé ne pourrait le faire, si nous étions forcés de recourir à son intermédiaire ; car l'être terrestre met son corps à notre disposition comme instrument, ce que l'esprit errant ne peut faire.

«Ainsi lorsque nous trouvons dans le médium le cerveau meublé de connaissances acquises dans sa vie actuelle, et son esprit riche de connaissances antérieures latentes, propres à faciliter nos communications, nous nous en servons de préférence parce que, avec lui, le phénomène de la communication est beaucoup plus facile qu'avec un médium dont l'intelligence serait bornée et dont les connaissances antérieures seraient insuffisantes.

«Avec un médium dont l'intelligence actuelle ou antérieure se trouve développée, notre pensée se communique instantanément d'esprit à esprit, par une faculté propre à l'esprit lui-même. Dans ce cas nous trouvons dans le cerveau du médium les éléments propres à donner à notre pensée le vêtement de la parole, et cela, que le médium soit mécanique, semi-mécanique ou intuitif pur. C'est pourquoi, quelle que soit la diversité des esprits qui se communiquent à un médium, les dictées obtenues par lui, tout en procédant d'esprits divers, portent un cachet de forme et de couleur personnel à ce médium. (C'est ce que nous expliquons par l'action réflexe de la force spirituelle.) Oui, bien que la pensée lui soit tout à fait étrangère, bien que le sujet sorte du cadre dans lequel il se meut habituellement lui-même, bien que ce que nous voulons dire ne provienne en aucune façon de lui, il n'en influence pas moins la forme, par les qualités, les propriétés qui sont adéquates à son individu.

«C'est absolument comme lorsque vous regardez différents points de vue avec des lunettes nuancées, vertes, blanches ou bleues ; bien que les points de vue ou objets soient tout à fait opposés et tout à fait indépendants les uns des autres, ils n'en offrent pas moins toujours une teinte qui provient de la couleur des lunettes. Ou mieux, comparons les médiums à ces bocaux pleins de liquides colorés et transparents que l'on voit dans la montre des officines pharmaceutiques ; eh bien, nous sommes comme des lumières qui éclairent certains points de vue moraux, philosophiques et scientifiques, à travers des médiums bleus, verts ou rouges, de telle sorte que nos rayons lumineux, obligés de passer à travers des verres plus ou moins bien taillés, plus ou moins transparents, c'est-à-dire par des médiums plus ou moins intelligents, n'arrivent sur les objets que nous voulons éclairer qu'en empruntant la teinte, ou mieux la forme propre et particulière à ces médiums.

«Enfin, pour terminer par une dernière comparaison, nous, esprits, sommes comme des compositeurs de musique qui avons composé ou voulons improviser un air et n'avons sous la main qu'un violon, qu'une flûte, qu'un basson, ou qu'un sifflet de deux sous. Il est incontestable qu'avec la flûte, le piano ou le violon, nous exécuterons notre morceau d'une manière très compréhensible pour nos auditeurs ; bien que les sons provenant du piano, du basson ou de la clarinette soient essentiellement différents les uns des autres, notre composition n'en sera pas moins identiquement la même, sauf les nuances du fond, mais si nous n'avons à notre disposition qu'un sifflet de deux sous et qu'un entonnoir de fontainier, là, pour nous, gît la difficulté.

«En effet, si nous sommes obligés de nous servir de médiums peu avancés, notre travail devient bien plus long, bien plus pénible, parce que nous sommes obligés d'avoir recours à des formes incomplètes, ce qui est une complication pour nous ; car nous sommes forcés de décomposer nos pensées et de procéder mot à mot, lettre par lettre, ce qui est un ennui et une fatigue pour nous et une entrave réelle à la promptitude et au développement de nos manifestations.

«C'est pourquoi nous sommes heureux de trouver des médiums bien appropriés, bien outillés, munis de matériaux prêts à fonctionner, bons instruments en un mot, parce qu'alors notre périsprit agissant sur celui que nous médianimisons, n'a plus qu'à donner l'impulsion à la main qui nous sert de porte-plume ou de porte-crayon ; tandis qu'avec les médiums insuffisants, nous sommes obligés de faire un travail analogue à celui que nous faisons quand nous nous communiquons par des coups frappés, c'est-à-dire en désignant lettre par lettre, mot à mot, chacune des phrases qui forment la traduction des pensées que nous voulons communiquer.

«Quand nous voulons procéder par dictées spontanées, nous agissons sur le cerveau, sur les casiers du médium et nous assemblons nos matériaux avec les éléments qu'il nous fournit, et cela tout à fait à son insu ; c'est comme si nous prenions dans sa bourse les sommes qu'il peut y avoir et que nous en arrangions les différentes monnaies suivant l'ordre qui nous paraîtrait le plus utile. Mais quand le médium veut lui-même nous interroger de telle et telle façon, il est bon qu'il y réfléchisse sérieusement, afin de nous questionner d'une façon méthodique, en nous facilitant ainsi notre travail de réponse. Car, comme il vous a été dit dans une précédente instruction, votre cerveau est souvent dans un désordre inextricable, et il nous est aussi difficile que pénible de nous mouvoir dans le dédale de vos pensées.

«Quand les questions doivent être posées par des tiers, il est bon, il est utile, que la série des questions soit communiquée, par avance, au médium1 ; pour que celui-ci s'identifie à l'esprit de l'évocateur, et s'en imprègne pour ainsi dire, parce que nous-mêmes avons alors bien plus de facilité pour répondre, par l'affinité qui existe entre notre périsprit et celui du médium qui nous sert d'interprète.

«Certainement nous pouvons parler mathématiques au moyen d'un médium qui y a l'air tout à fait étranger, mais souvent l'esprit de cette personne possède ces connaissances à l'état latent, c'est-à-dire personnel à l'être fluidique et non à l'être incarné, parce que son corps actuel est un instrument rebelle ou contraire à cette connaissance. Il en est de même de l'astronomie, de la poésie, de la médecine et des langues diverses, ainsi que de toutes les autres connaissances particulières à l'espèce humaine.

«Enfin nous avons encore le moyen de l'élaboration pénible en usage avec les médiums complètement étrangers au sujet traité, en assemblant les lettres et les mots comme en télégraphie.

«Comme nous l'avons dit, les esprits n'ont pas besoin de revêtir leur pensée ; ils perçoivent et communiquent la pensée par ce fait seul qu'elle existe en eux. Les êtres corporels, au contraire, ne peuvent percevoir la pensée que revêtue. Tandis que le mot, le substantif, le verbe, la phrase en un mot, vous sont nécessaires pour penser, même mentalement, aucune forme visible ou tangible n'est nécessaire pour nous.»

Allan Kardec ajoute à cette communication la note suivante, à laquelle nous nous rallions pleinement.

Cette analyse du rôle des médiums et des procédés à l'aide desquels les esprits se communiquent est aussi claire que logique. Il en découle ce principe que l'esprit puise, non ses idées, mais les matériaux, nécessaires pour les exprimer, dans le cerveau du médium, et que plus ce cerveau est riche en matériaux, plus la communication est facile. Lorsque l'esprit s'exprime dans la langue familière au médium, il trouve en lui les mots tout formés pour revêtir l'idée ; si c'est dans une langue qui lui est étrangère, il n'y trouve pas les mots simplement mais les lettres ; c'est pourquoi l'esprit est obligé de dicter pour ainsi dire lettre à lettre, absolument comme si nous voulions faire écrire de l'allemand à quelqu'un qui n'en sait pas le premier mot. Si le médium ne sait ni lire ni écrire, et ne possède pas même les lettres, il faut donc lui conduire la main, comme à un écolier, et là est une difficulté matérielle plus grande encore2.

Ces phénomènes sont donc possibles et l'on en a de nombreux exemples ; mais on comprend que cette manière de procéder s'accorde peu avec l'étendue et la rapidité des communications, et que les esprits doivent profiter des instruments les plus commodes ou, comme ils disent, des médiums les mieux outillés à leur point de vue.

Si ceux qui demandent ces phénomènes comme moyen de conviction avaient préalablement étudié la théorie, ils sauraient dans quelles conditions exceptionnelles ils se produisent.

Nous l'avons déjà dit, les variétés de médium écrivain sont très grandes et présentent des degrés infinis dans leur diversité ; il en est plusieurs qui ne présentent, à proprement parler, que des nuances, qui n'en sont pas moins le fait de propriétés spéciales. On conçoit qu'il doit être assez rare que la faculté d'un médium soit circonscrite dans un seul genre. Le même médium peut sans doute avoir plusieurs aptitudes, mais il y en a toujours une qui domine, et c'est elle qu'il doit s'attacher à cultiver si elle est utile. Un esprit évoqué nous a donné le conseil suivant :

«Lorsque le principe, le germe d'une faculté existe, elle se manifeste toujours par des signes non équivoques. En se renfermant dans sa spécialité, le médium peut exceller et obtenir de grandes et belles choses ; en s'occupant de tout, il n'obtiendra rien de bien. Remarquez, en passant, que le désir d'étendre indéfiniment le cercle de ses facultés est une prétention orgueilleuse que les esprits ne laissent jamais impunie ; les bons abandonnent toujours le présomptueux qui devient ainsi le jouet des esprits trompeurs. Il n'est malheureusement pas rare de voir les médiums ne pas se contenter des dons qu'ils ont reçus et aspirer, par amour-propre ou ambition, à posséder des facultés exceptionnelles propres à les faire remarquer. Cette prétention leur ôte la qualité la plus précieuse, celle de médiums sûrs.»

Médiums dessinateurs.

Nous comprenons, d'après la théorie, que les médiums mécaniques puissent être appelés, à un moment donné, à faire toute autre chose que de l'écriture. Le pouvoir qui fait marcher leur main pour tracer des caractères sur le papier peut aussi bien leur faire exécuter des lignes, des courbes, des hachures, etc., en un mot les faire dessiner. Ce cas se présente assez fréquemment et nous connaissons un certain nombre de personnes qui obtiennent ainsi, les unes des paysages, les autres des têtes admirablement dessinées, tout en ignorant jusqu'aux premiers principes de cet art.

L'exemple le plus curieux de ce genre de médiumnité nous est offert par M. Sardou, l'éminent académicien, qui a publié, en 1858, une planche dessinée et gravée par lui, représentant une habitation dans Jupiter. Ce dessin est accompagné d'une longue notice de Victorien Sardou, dans laquelle le célèbre auteur explique comment, assisté de Bernard de Palissy et de Mozart, il a pu reproduire par le trait, les habitations de Jupiter. Voici la notice placée en tête de l'article par Allan Kardec.

«Nous donnons avec ce numéro de notre revue, ainsi que nous l'avons annoncé, un dessin d'une habitation de Jupiter, exécuté et gravé par M. Victorien Sardou, comme médium, et nous y ajoutons l'article descriptif qu'il a bien voulu nous donner à ce sujet. Quelle que puisse être, sur l'authenticité de ces descriptions, l'opinion de ceux qui pourraient nous accuser de nous occuper de ce qui se passe par-delà les mondes inconnus, tandis qu'il y a tant à faire sur la terre, nous prions nos lecteurs de ne pas perdre de vue que notre but, ainsi que l'annonce notre titre, est avant tout l'étude des phénomènes, et qu'à ce point de vue, rien ne doit être négligé. Or comme faits de manifestations, ces dessins sont incontestablement des plus remarquables, puisque l'auteur ne sait ni dessiner, ni graver, et que le dessin que nous offrons a été gravé par lui à l'eau-forte sans modèle ni essai préalable en neuf heures. En supposant même que ce dessin soit une fantaisie de l'esprit qui l'a fait tracer, le phénomène de l'exécution n'en serait pas moins digne d'attention, et, à ce titre, il mérite de figurer dans notre recueil.»

A la fin de l'article accompagnant les dessins, Allan Kardec ajoutait les lignes suivantes :

«L'auteur de cette intéressante description est un de ces adeptes fervents et éclairés qui ne craignent pas d'avouer hautement leurs croyances, et se mettent au-dessus de la critique des gens qui ne croient à rien de ce qui sort du cercle de leurs idées. Attacher son nom à une doctrine nouvelle en bravant les sarcasmes est un courage qui n'est pas donné à tout le monde, et nous félicitons M. Sardou de l'avoir...»

Quantum mutatus ab illo !

Depuis cette époque, déjà lointaine, nous avons eu des preuves nombreuses, qui nous ont démontré que cette médiumnité est assez répandue. Un forgeron du nom de Fabre a dessiné un superbe tableau représentant Constantin au moment où il met en fuite l'armée de Maxence, qui ne serait pas désavoué par un maître. Nous avons vu nous-mêmes des personnes ne connaissant pas les premiers principes du dessin crayonner des têtes, mais d'une manière tout à fait originale. La main était agitée d'un fébrile mouvement de va-et-vient et semblait ne faire que des hachures, puis lorsque l'action spirituelle avait cessé, on trouvait milieu de ce fouillis une adorable figure de jeune fille, dont les traits purs se détachaient nettement, au milieu de l'inextricable enchevêtrement des coups de crayon. D'autre fois c'étaient des têtes de vieillards ou de guerriers et, nous le répétons, jamais ces médiums n'ont appris les lois du dessin.

Il est bon d'observer que, pour cette sorte de médiumnité, il faut des aptitudes spéciales, et il ne suffit pas d'être médium mécanique pour devenir dessinateur. Les esprits connaissant nos existences antérieures peuvent nous juger aptes à ce genre de manifestation, quand bien même, cette fois, nous ne nous sentirions aucune disposition pour les arts ; c'est donc à eux de nous diriger et à nous de suivre docilement leur avis.

L'essai de théorie générale que nous avons donné des phénomènes de l'écriture peut encore s'appliquer à certaines manifestations qui se présentent avec un caractère composite. Tel est le cas rapporté par le Grand Journal, du 4 juin 1865. Le voici tel que le reproduit la revue.

«Tous les éditeurs et tous les amateurs de musique de Paris connaissaient M. N.-G. Bach, élève de Zimmermann, premier prix de piano du Conservatoire au concours de 1819, un de nos professeurs de piano des plus estimés et des plus honorés, arrière-petit-fils du grand Sébastien Bach, dont il porte dignement le nom illustre.

«Informé par notre ami commun M. Dollingen, administrateur du Grand Journal, qu'un véritable prodige s'était produit dans l'appartement de M. Bach, pendant la nuit du 5 mai dernier, j'ai prié Dollingen de me conduire chez M. Bach, et j'ai été accueilli au n° 8 de la rue Castellane avec une exquise courtoisie. Inutile, je pense, d'ajouter que c'est après avoir obtenu l'autorisation expresse du héros de cette histoire merveilleuse, que je me permets de la raconter à mes lecteurs.

«Le 4 mai dernier, M. Léon Bach, qui est un curieux doublé d'un artiste, apporta à son père une épinette admirablement sculptée. Après de longues et minutieuses recherches, M. Bach découvrit sur une planche intérieure l'état civil de l'instrument ; il date du mois d'avril 1564, et c'est à Rome qu'il a été fabriqué.

«M. Bach passa une partie de la journée dans la contemplation de sa précieuse épinette, il y pensait encore en se couchant, lorsque le sommeil vint fermer sa paupière, il y pensait encore.

«Il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'il ait eu le songe suivant :

«Au plus profond de son sommeil, M. Bach vit apparaître au chevet de son lit un homme qui avait une longue barbe, des souliers arrondis par le bout, avec de grosses bouffettes dessus, une culotte très large, un pourpoint à manches très larges avec des crevés dans le haut, une grande collerette autour du cou et coiffé d'un chapeau pointu à larges bords.

«Ce personnage se pencha vers M. Bach et lui tint ce discours :

«L'épinette que tu possèdes m'a appartenu. Elle m'a souvent servi à distraire mon maître, le roi Henri III.

«Lorsqu'il était très jeune, il composa un air avec paroles qu'il se plaisait à chanter et que je lui jouais bien des fois. Cet air et ces paroles, il les composa en souvenir d'une femme qu'il rencontra dans une partie de chasse et dont il devint amoureux. On l'éloigna de lui, on dit qu'elle fut empoisonnée, et le roi en eut une grande douleur. Chaque fois qu'il était triste, il fredonnait cette romance ; alors, pour le distraire, je jouais sur mon épinette une sarabande de ma composition qu'il aimait beaucoup. Aussi je confondais ces deux morceaux et je les jouais l'un après l'autre. Je vais te les faire entendre.»

«Alors l'homme du rêve s'approcha de l'épinette, fit quelques accords et chanta l'air avec tant d'expression que M. Bach se réveilla tout en larmes. Il alluma une bougie, regarda l'heure, constata qu'il était deux heures après minuit et ne tarda pas à s'endormir de nouveau.

«C'est ici que l'extraordinaire commence.

«Le lendemain matin. à son réveil, M. Bach ne fut pas médiocrement surpris de trouver sur son lit une page de musique couverte d'une écriture très fine et de notes microscopiques. C'est à peine, si, avec l'aide de son binocle, M. Bach, qui est très myope, parvint à se reconnaître au milieu de ce griffonnage.

«L'instant d'après, ce petit-fils de Sébastien s'asseyait à son piano et déchiffrait le morceau. La romance, les paroles et la sarabande étaient exactement conformes à celles que l'homme du rêve lui avait fait entendre pendant son sommeil !

«Or, M. Bach n'est pas somnambule ; or, il n'a jamais écrit un seul vers de sa vie et les règles de la prosodie lui sont absolument étrangères.

«Voici le refrain et les trois couplets tels que nous les avons copiés sur le manuscrit ; nous leur conservons leur orthographe qui, disons-le en passant, n'est nullement familière à M. Bach.

J'ay perdu celle
Pour qui j'avois tant d'amour
Elle s'y belle
Avait pour moi chaque jour
Faveur nouvelle
Et nouveau désir.
Oh ! ouy sans elle
Il me faut mourir !

Un jour pendant une chasse lointaine,
Je l'aperçus pour la première fois,
Je croyais voir un ange dans la plaine,
Lors je devins le plus heureux des rois.

Je donnerais, certes, tout mon royaume
Pour la revoir encore un seul instant ;
Près d'elle assis dessous un humble chaume
Pour sentir mon coeur battre en l'admirant.

Triste et cloistrée, oh ! ma pauvre belle
Fut loin de moy pendant ses derniers jours,
Elle ne sent plus sa peine cruelle ;
Icy bas, hélas ! je souffre toujours.

«Dans cette romance plaintive, ainsi que dans la sarabande joyeuse qui la suit, l'orthographe musicale n'est pas moins archaïque que l'orthographe littéraire. Les clefs sont faites autrement que l'on a l'habitude de les indiquer de nos jours. La base est écrite dans un temps et le chant dans un autre. M. Bach a eu l'obligeance de me faire entendre ces deux morceaux qui sont d'une harmonie simple, naïve et pénétrante...

«Le journal de l'Estoile nous apprend que le roi eut une grande passion pour Marie de Clèves, marquise d'Isle, morte à la fleur de l'âge dans une abbaye, le 15 octobre 1574. Ne serait-ce pas la «pauvre belle, triste et cloistrée» dont il est fait mention dans les couplets. Le même journal nous apprend aussi qu'un musicien italien nommé Baltazarini vint en France à cette époque et qu'il fut un des favoris du roi.

«L'épinette a-t-elle appartenu a Baltazarini ? Est-ce l'esprit de Baltazarini qui a écrit la romance et la sarabande ?

«Mystère que nous n'osons approfondir !

«ALBERIC SECOND.»

Quelques réflexions sur ce sujet ne seront pas déplacées.

«Mystère que nous n'osons approfondir, et pourquoi ne l'osez-vous pas ? Voilà un fait dont l'authenticité vous est démontrée, ainsi que vous le reconnaissez vous-même, et parce qu'il touche à la vie mystérieuse d'outre-tombe vous n'osez pas en rechercher la cause ! Vous tremblez de le regarder en face ! Avez-vous donc, malgré vous, peur des revenants ? ou craignez-vous d'obtenir la preuve que tout n'est pas fini avec la vie du corps ? Il est vrai que pour un sceptique qui ne sait rien et qui ne croit à rien au-delà du temps présent, cette cause est assez difficile à trouver. Cependant par cela même que le fait est plus étrange et paraît s'écarter des lois connues, il doit d'autant mieux faire réfléchir, éveiller tout au moins la curiosité. On dirait vraiment que certaines gens ont peur de voir trop clair, parce qu'il leur faudrait convenir qu'ils se sont trompés. Voyons cependant les déductions que tout homme sérieux peut tirer de ce fait, abstraction faite de toute idée spirite.

«M. Bach reçoit un instrument dont il constate l'antiquité, ce qui lui cause une grande satisfaction. Préoccupé de cette idée, il est naturel qu'elle provoque un rêve ; il voit un homme dans le costume du temps, touchant de cet instrument et chantant un air de l'époque ; rien assurément là qui ne puisse, à la rigueur, être attribué à l'imagination surexcitée par l'émotion et le souvenir de la veille, surtout chez un musicien.

«Mais ici le souvenir se complique, l'air et les paroles ne peuvent être une réminiscence, puisque M. Bach ne les connaissait pas. Qui donc a pu les lui révéler, si l'esprit qui lui est apparu n'est qu'un être fantastique sans réalité ? Que l'imagination surexcitée fasse revivre dans la mémoire des choses oubliées, cela se conçoit ; mais aurait-elle donc le pouvoir de nous donner des idées nouvelles ; de nous apprendre des choses que nous ne savons pas, que nous n'avons jamais sues, dont nous ne nous sommes jamais occupés ? Ce serait là un fait d'une haute gravité et qui vaudrait bien la peine d'être examiné, car ce serait la preuve que l'esprit agit, perçoit indépendamment de la matière. Passons encore là-dessus, si l'on veut ; ces considérations sont d'un ordre si élevé, si abstrait qu'il n'est pas donné à tout le monde de les scruter, ni même d'y arrêter sa pensée.

«Venons au fait le plus matériel, le plus positif, celui de cette musique écrite avec paroles. Est-ce un produit de l'imagination ? La chose est là, palpable, sous les yeux. Est-elle écrite par M. Bach à l'état de somnambulisme ? Admettons-le un instant, mais qui lui aurait dicté ces vers, écrits sans rature et d'une seule venue ? Où aurait-il puisé la connaissance de ces événements passés qu'il ignorait absolument la veille et qui se trouvent confirmés comme on va le voir un peu plus loin.»

M. Albéric Second demandait si l'épinette avait appartenu à Baltazarini et si c'était ce musicien qui avait dicté les paroles de la romance et la musique de la sarabande ?

Voici, comme réponse, ce que nous lisons dans la Revue de février 1866.

«Le fait ci-après est une suite de l'intéressante histoire : Air et paroles du roi Henry III, rapportée dans la Revue de juillet 1865. Depuis lors, M. Bach est devenu médium écrivain, mais il pratique peu, à cause de la fatigue qui en résulte pour lui. Il ne le fait que lorsqu'il y est incité par une force invisible, qui se traduit par une vive agitation et un tremblement de la main, car alors la résistance est plus pénible que l'exercice. Il est mécanique dans le sens le plus absolu du mot, n'ayant ni conscience ni souvenir de ce qu'il écrit. Une fois qu'il était dans cette disposition, il écrivit le quatrain suivant.

Le roi Henry donne cette grande épinette
A Baltazarini, très bon musicien
Si elle n'est bonne ou pas assez coquette
Pour souvenir, du moins, qu'il la conserve bien.

L'explication de ces vers qui, pour M. Bach, n'avaient pas de sens, lui fut donnée en prose.

«Le roi Henry, mon maître, qui m'a donné l'épinette que tu possèdes, avait écrit un quatrain sur un morceau de parchemin qu'il avait fait clouer sur l'étui et me l'envoya un matin. Quelques années plus tard, ayant un voyage à faire et craignant, puisque j'avais mon épinette avec moi pour faire de la musique, que le parchemin ne fût arraché et perdu, je l'ai enlevé et, pour ne pas le perdre, je l'ai mis dans une petite niche à gauche du clavier, où il est encore.»

«L'épinette est l'origine des pianos actuels dans leur plus grande simplicité, et se jouait de la même manière ; c'était un petit clavecin à quatre octaves d'environ un mètre et demi de long sur quarante centimètres de large et sans pieds. Les cordes, à l'intérieur, étaient disposées comme dans les pianos et frappées à l'aide de touches. On le transportait à volonté en le renfermant dans un étui, comme on fait pour les basses et pour les violoncelles. Pour s'en servir on le posait sur une table ou sur un X mobile.

«L'instrument, était alors à l'exposition du musée rétrospectif aux Champs-Elysées, où il n'était pas possible de faire la recherche indiquée. Lorsqu'il lui fut rapporté, M. Bach, de concert avec son fils, s'empressa d'en fureter tous les coins, mais inutilement, de sorte qu'ils crurent d'abord à une mystification.

«Néanmoins, pour n'avoir rien à se reprocher, il le démonta complètement et découvrit, à gauche du clavier, un intervalle si étroit qu'on n'y pouvait introduire la main. Il fouilla ce réduit plein de poussière et de toiles d'araignée, et en retira un morceau de parchemin plié, noirci par le temps, long de trente et un centimètres sur sept et demi de large, sur lequel était écrit le quatrain suivant en assez gros caractères de l'époque :

Moy le roi Henri trois octroys cette espinette
A Baltazarini, mon gay musicien.
Mais si dis mal sône, ou bien [ma] moult simplette
Lors pour mon souvenir dans lestuy garde bien.

«Ce parchemin est percé aux quatre coins de trous qui sont évidemment ceux des clous qui ont servi à le fixer sur la boîte. Il porte, en outre, sur les bords une multitude de trous alignés et régulièrement espacés qui paraissent avoir été faits par de très petits clous.

«Les premiers vers dictés reproduisaient, comme on le voit, la même pensée que ceux du parchemin, dont ils sont la production en langage moderne, et cela avant que ceux-ci ne fussent découverts.

«Le troisième vers est obscur et contient surtout le mot ma, qui semble n'avoir aucun sens, et ne peut point se lier à l'idée principale, et qui, dans l'original, est entouré d'un filet en carré ; nous en avions inutilement cherché l'explication, et M. Bach lui-même n'en savait pas davantage. Etant, un jour, chez ce dernier, il eut spontanément, en notre présence, une communication de Baltazarini, donnée à notre intention et ainsi conçue :

«Amico mio,

«Je suis content de toi, tu as trouvé ces vers dans mon épinette, mon voeu est accompli, je suis content de toi...

«Le roi plaisantait mon accent dans ses vers, je disais toujours ma au lieu de mais.

«Adio amico.

BALTAZARINI.

«Ainsi a été donnée sans question préalable l'explication de ce mot ma, intercalé par plaisanterie, par lequel le roi désignait Baltazarini qui, ainsi que beaucoup de sa nation, le prononçait souvent.

«Ainsi le roi en donnant cette épinette à son musicien lui dit : Si elle n'est pas bonne, si elle sonne mal, ou si ma (Baltazarini), la trouve trop simple, de trop peu de valeur, qu'il la garde dans son étui en souvenir de moi. Le mot ma est entouré d'un filet comme un mot entre parenthèses. Nous aurions, certes, longtemps cherché cette explication qui ne pouvait être le reflet de la pensée de M. Bach, puisque lui-même n'y comprenait rien...

«Une importante question restait à résoudre, c'était de savoir si l'écriture du parchemin était bien réellement de la main d'Henri III. M. Bach se rendit à la bibliothèque impériale pour le comparer à celle des manuscrits originaux. On en trouva d'abord avec lesquels il n'y avait pas une similitude parfaite, mais seulement un même caractère d'écriture. Avec d'autres pièces l'identité était absolue, tant pour le corps de l'écriture que pour la signature.

«Il ne pouvait donc rester de doutes sur l'authenticité de cette pièce, quoique certaines personnes, qui professent une incrédulité ridicule à l'endroit des choses dites surnaturelles, aient prétendu que ce n'était qu'une imitation très exacte. Or nous ferons observer qu'il ne s'agit pas ici d'une écriture médianimique, donnée par l'esprit du roi, mais d'un manuscrit original, écrit par le roi lui-même, de son vivant, et qui n'a rien de plus merveilleux que ceux que des circonstances fortuites font chaque jour découvrir. Le merveilleux, si merveilleux il y a, n'est que dans la manière dont son existence a été révélée. Il est bien certain que si M. Bach se fût contenté de dire qu'il l'avait trouvé par hasard dans son instrument, on n'eût élevé aucune objection.»

Tel est le récit exact de la communication littéraire et musicale obtenue par M. Bach. Nous pourrions rapporter un grand nombre d'anecdotes aussi certaines que celles-là et où l'intervention des esprits est non moins manifeste, mais nous préférons renvoyer le lecteur à la Revue Spirite, qui fourmille de récits semblables, portant tous le cachet de la vérité la plus indiscutable.


1 Ces recommandations ne sont applicables qu'aux spirites qui font des études et qui interrogent leurs guides. Pour les incrédules, il est inutile de communiquer quoi que ce soit, et les questions doivent être autant que possible, mentales.


2 Si l'action est purement mécanique, l'esprit n'agit que sur les centres sensitivo-moteurs qui dirigent les mouvements du bras et de la main, l'action est donc, en effet, beaucoup plus difficile.