III. - NATURE DE L'ETRE.

Le premier problème qui se pose à la pensée, c'est celui de la pensée elle-même ou plutôt de l'être pensant. C'est là, pour nous tous, un sujet capital, qui domine tous les autres, et dont la solution nous ramène aux sources mêmes de la vie et de l'univers.

Quelle est la nature de notre personnalité ? Celle-ci comporte-t-elle un élément susceptible de survivre à la mort ? A cette question se rattachent toutes les craintes, toutes les espérances de l'humanité.

Le problème de l'être et le problème de l'âme ne font qu'un ; c'est l'âme1 qui fournit à l'homme son principe de vie et de mouvement. L'âme humaine est une volonté libre et souveraine ; c'est l'unité consciente qui domine tous les attributs, toutes les fonctions, tous les éléments matériels de l'être, comme l'âme divine domine, coordonne et relie toutes les parties de l'univers pour les harmoniser.

L'âme est immortelle, car le néant n'est pas et rien ne peut être anéanti. Aucune individualité ne peut cesser d'être. La dissolution des formes matérielles prouve simplement que l'âme est séparée de l'organisme à l'aide duquel elle communiquait avec le milieu terrestre. Elle n'en poursuit pas moins son évolution dans des conditions nouvelles, sous des formes plus parfaites et sans rien perdre de son identité. Chaque fois qu'elle abandonne son corps terrestre, elle se retrouve dans la vie de l'espace, unie à son corps spirituel, dont elle est inséparable, à cette forme impondérable qu'elle s'est préparée par ses pensées et par ses oeuvres.

Ce corps subtil, ce double fluidique, existe en nous à l'état permanent. Quoique invisible, il sert cependant de moule à notre corps matériel. Celui-ci ne joue pas, dans la destinée de l'être, le rôle le plus important. Le corps visible, le corps physique varie. Formé en vue des nécessités de l'étape terrestre, il est temporaire et périssable ; il se désagrège et se dissout à la mort. Le corps subtil demeure ; préexistant à la naissance, il survit aux décompositions de la tombe et accompagne l'âme dans ses transmigrations. C'est le modèle, le type originel, la véritable forme humaine, sur laquelle viennent s'incorporer, pour un temps, les molécules de la chair, et qui se maintient au milieu de toutes les variations et de tous les courants matériels. Même durant la vie, cette forme subtile peut se détacher du corps charnel dans certaines conditions, agir, apparaître, se manifester à distance, comme nous le verrons plus loin, de façon à prouver, d'une manière irrécusable, son existence indépendante2.

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Les preuves de l'existence de l'âme sont de deux sortes : morales et expérimentales. Voyons d'abord les preuves morales et celles d'ordre logique, qui, pour avoir été souvent utilisées, n'en gardent pas moins toute leur force et leur valeur.

D'après les écoles matérialistes et moniste, l'âme n'est que la résultante des fonctions cérébrales. «Les cellules du cerveau, a dit Haeckel, sont les véritables organes de l'âme. Celle-ci est liée à leur intégrité. Elle croît, régresse et s'évanouit avec elles. Le germe matériel contient l'être tout entier, physique et mental.»

Nous répondrons en substance : La matière ne peut générer des qualités qu'elle n'a pas. Des atomes, qu'ils soient triangulaires, circulaires ou crochus, ne sauraient représenter la raison, le génie, le pur amour, la sublime charité. Le cerveau, dit-on, crée la fonction ; mais est-il compréhensible qu'une fonction puisse se connaître, posséder la conscience et la sensibilité ? Comment expliquer la conscience autrement que par l'esprit ? Vient-elle de la matière ? Elle la combat fréquemment ! Vient-elle de l'intérêt et de l'instinct de conservation ? Elle se révolte contre eux et nous commande jusqu'au sacrifice !

L'organisme matériel n'est pas le principe de la vie et des facultés ; il en est, au contraire, la limite. Le cerveau n'est qu'un instrument, à l'aide duquel l'esprit enregistre les sensations ; on pourrait le comparer à un clavier dont chaque touche représenterait un genre spécial de sensations. Lorsque l'instrument est en parfait accord, ces touches, sous l'action de la volonté, rendent le son qui leur est propre, et l'harmonie règne dans nos idées et dans nos actes. Mais si ces mêmes touches se trouvent dérangées, si plusieurs sont détruites, le son rendu sera faux, l'harmonie incomplète : il en résultera un désaccord, malgré les efforts de l'intelligence de l'artiste, qui ne peut plus obtenir de cet instrument défectueux un ensemble de manifestations régulières. Ainsi s'expliquent les maladies mentales, les névroses, l'idiotisme, la perte temporaire de la parole ou de la mémoire, la folie, etc., sans que l'existence de l'âme en soit atteinte pour cela. Dans tous ces cas, l'esprit subsiste, mais ses manifestations sont contrariées et parfois même annihilées par suite d'un manque de corrélation avec son organisme.

Sans doute, d'une façon générale, le développement du cerveau dénote de hautes facultés. A une âme délicate et puissante, il faut un instrument plus parfait qui se prête à toutes les manifestations d'une pensée élevée et féconde. Les dimensions et les circonvolutions du cerveau sont souvent en rapport direct avec le degré d'évolution de l'esprit3. Il n'en faudrait pas déduire que la mémoire n'est qu'un simple jeu des cellules cérébrales. Celles-ci se modifient et se renouvellent sans cesse, dit la science, à tel point que le cerveau et le corps humain tout entier sont renouvelés en peu d'années4. Dans ces conditions, comment expliquer que nous puissions nous rappeler des faits remontant à dix, vingt, trente années ? Comment les vieillards se remémorent-ils avec une facilité surprenante les moindres détails de leur enfance ? Comment la mémoire, la personnalité, le moi peuvent-ils persister et se maintenir au milieu des continuelles destructions et reconstructions organiques ? Autant de problèmes insolubles pour le matérialisme !

Rien ne parvient à l'âme, disent les psychologues contemporains, que par le moyen des sens, et la suspension des uns entraîne la disparition de l'autre. Remarquons cependant que l'état d'anesthésie, c'est-à-dire la suppression momentanée de la sensibilité, ne supprime nullement l'action de l'intelligence ; celle-ci s'active, au contraire, dans des cas où, d'après les doctrines matérialistes, elle devrait être annihilée.

Buisson écrivait : «S'il existe quelque chose qui puisse démontrer l'indépendance du moi, c'est assurément la preuve que nous fournissent les patients soumis à l'action de l'éther et chez qui les facultés intellectuelles résistent dans cet état aux agents anesthésiques.»

Velpeau, traitant du même sujet, disait : «Quelle mine féconde pour la physiologie et la psychologie que des faits comme ceux-ci, qui séparent l'esprit de la matière, l'intelligence du corps !»

Nous verrons aussi de quelle façon, dans le sommeil ordinaire ou provoqué, dans le somnambulisme et l'extériorisation, l'âme peut vivre, percevoir, agir sans le secours des sens.

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Si l'âme, comme le dit Haeckel, représentait uniquement la somme des éléments corporels, il y aurait toujours, chez l'homme, corrélation entre le physique et le mental. Le rapport serait direct et constant et l'équilibre parfait entre les facultés, les qualités morales, d'une part, et la constitution matérielle, de l'autre. Les mieux partagés au point de vue physique posséderaient aussi les âmes les plus intelligentes et les plus dignes. Nous savons qu'il n'en est rien, car, souvent, des âmes d'élite ont habité des corps débiles. La santé et la force ne comportent pas nécessairement, chez ceux qui les possèdent, un esprit subtil et de brillantes qualités.

On dit, il est vrai : Mens sana in corpore sano. Mais il y a tant d'exceptions à cette maxime qu'on ne saurait la considérer comme une règle absolue. La chair cède toujours à la douleur. Il n'en est pas de même de l'âme, qui, souvent, résiste, s'exalte dans la souffrance et triomphe des agents extérieurs.

Les exemples d'Antigone, de Jésus, de Socrate, de Jeanne d'Arc, ceux des martyrs chrétiens, des hussites et de tant d'autres qui embellissent l'Histoire et ennoblissent la race humaine, sont là pour nous rappeler que les voix du sacrifice et du devoir peuvent s'élever bien au-dessus des instincts de la matière. La volonté, chez les héros, sait dominer les résistances du corps aux heures décisives.

Si l'homme était contenu tout entier dans le germe physique, on trouverait en lui les seules qualités et les seuls défauts de ses générateurs, dans la même mesure que chez ceux-ci. Au contraire, on voit partout des enfants différer de leurs parents, les dépasser ou leur rester inférieurs. Des frères, des jumeaux, d'une ressemblance frappante au physique, présentent, au mental et au moral, des caractères dissemblables entre eux et avec leurs ascendants.

Les théories de l'atavisme et de l'hérédité sont impuissantes à expliquer les cas célèbres d'enfants artistes ou savants : les musiciens comme Mozart ou Paganini, les calculateurs comme Mondeux et Inaudi, les peintres de dix ans comme Van de Kerkhove et tant d'autres enfants prodiges dont les aptitudes ne se retrouvent pas chez les parents, ou bien ne s'y retrouvent - tels, par exemple, les ascendants de Mozart - qu'à un degré très inférieur.

Les propriétés de la substance matérielle transmise par les parents se manifestent chez l'enfant par la ressemblance physique et les maux constitutionnels. Mais la ressemblance ne persiste guère que pendant la première période de la vie. Dès que le caractère se dessine, aussitôt que l'enfant devient homme, on voit les traits se modifier peu à peu ; en même temps les tendances héréditaires s'amoindrissent et font place à d'autres éléments constituant une personnalité différente, un moi parfois très distinct dans ses goûts, ses qualités, ses passions, de tout ce que l'on rencontre chez les ascendants. Ce n'est donc pas l'organisme matériel qui fait la personnalité, mais bien l'homme intérieur, l'être psychique. A mesure que celui-ci se développe et s'affirme par son action propre dans l'existence, on voit l'héritage physique et mental des parents s'affaiblir peu à peu, et souvent, s'évanouir.

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La notion du bien, gravée au fond des consciences, est encore une preuve évidente de notre origine spirituelle. Si l'homme était issu de la seule poussière, ou bien un résultat des forces mécaniques du monde, nous ne pourrions connaître le bien ni le mal, ressentir ni remords ni douleur morale. On nous dit : Ces notions proviennent de vos ancêtres, de l'éducation, des influences sociales ! Mais si ces notions sont l'héritage exclusif du passé, d'où le passé les a-t-il reçues ? Et pourquoi grandissent-elles en nous, si elles n'y trouvaient un terrain favorable et un aliment ?

Si vous avez souffert à la vue du mal, si vous avez pleuré sur vous-même et sur les autres, à ces heures de tristesses, de douleur révélatrice, vous avez pu entrevoir les secrètes profondeurs de l'âme, ses attaches mystérieuses avec l'Au-delà, et vous avez compris le charme amer et le but élevé de l'existence, de toutes les existences. Ce but, c'est l'éducation des êtres par la douleur ; c'est l'ascension des choses finies vers la vie infinie.

Non, la pensée et la conscience ne dérivent pas d'un univers chimique et mécanique. Elles le dominent de haut, au contraire, le dirigent et l'asservissent. En effet, n'est-ce pas la pensée qui mesure les mondes, l'étendue, qui discerne les harmonies du Cosmos ? Nous appartenons seulement pour une part au monde matériel, c'est pourquoi nous en ressentons si vivement les maux. Si nous lui appartenions tout entiers, nous nous trouverions beaucoup mieux dans notre élément et bien des souffrances nous seraient épargnées.

La vérité sur la nature humaine, sur la vie et la destinée, le bien et le mal, la liberté et la responsabilité, ne se découvre ni au fond des cornues ni sous la pointe des scalpels. La science matérielle ne peut juger des choses de l'esprit. L'esprit, seul, peut juger et comprendre l'esprit, dans la mesure de son degré d'évolution. C'est de la conscience des âmes supérieures, de leurs pensées, de leurs travaux, de leurs exemples, de leurs sacrifices que jaillissent la plus grande lumière et le plus noble idéal qui puissent guider l'humanité dans sa voie.

L'homme est donc à la fois esprit et matière, âme et corps. Mais peut-être esprit et matière ne sont-ils que des mots exprimant d'une façon imparfaite les deux formes de la vie éternelle, laquelle sommeille dans la matière brute, s'éveille dans la matière organique, s'active, s'épanouit et s'élève dans l'esprit.

N'y a-t-il, comme certains philosophes l'admettent, qu'une essence unique des choses, à la fois forme et pensée, la forme étant une pensée matérialisée, et la pensée, la forme de l'esprit5 ? Cela est possible. Le savoir humain est restreint et le coup d'oeil du génie n'est, lui-même, qu'un éclair rapide dans le domaine infini des idées et des lois.

Toutefois, ce qui caractérise l'âme et la différencie absolument de la matière, c'est son unité consciente. La matière se disperse et s'évanouit à l'analyse. L'atome physique se subdivise en sous-atomes et ceux-ci se fragmentent à leur tour, indéfiniment. La matière - les découvertes récentes de Becquerel, Curie, Lebon l'établissent - est entièrement dépourvue d'unité. L'esprit, seul, dans l'univers, représente l'élément un, simple, indivisible et, par suite, logiquement, indestructible, impérissable, immortel !


1 Nous le démontrerons plus loin à l'aide de tout un ensemble de faits d'observation, d'expériences et de preuves objectives.


2 La science physiologique, à qui échappent encore la plupart des lois de la vie, a cependant entrevu l'existence du périsprit ou corps fluidique, qui est à la fois le moule du corps matériel, le vêtement de l'âme et l'intermédiaire obligé entre eux. Claude Bernard a écrit (Recherches sur les problèmes de la physiologie) : «Il y a comme un dessin préétabli de chaque être et de chaque organe, en sorte que si, considéré isolément, chaque phénomène de l'organisme est tributaire des forces générales de la nature, ils paraissent révéler un lien spécial, ils semblent dirigés par quelque condition invisible dans la route qu'ils suivent, dans l'ordre qui les enchaîne
En dehors de cette notion du corps fluidique, l'union de l'âme au corps matériel reste incompréhensible. De là est venu l'affaiblissement de certaines théories spiritualistes qui considéraient l'âme comme un «pur esprit». Ni la raison ni la science ne peuvent admettre un être dépourvu de forme. Leibniz, dans la préface de ses Nouvelles Recherches sur la Raison humaine, disait : «Je crois, avec la plupart des anciens, que tous les esprits, toutes les âmes, toutes les substances simples, actives, sont toujours unis à un corps et qu'il n'existe jamais d'âmes qui en soient complètement dépourvues.»
On a, du reste, de nombreuses preuves objectives et subjectives de l'existence du périsprit. Ce sont d'abord les sensations dites «d'intégrité», qui accompagnent toujours l'amputation d'un membre quelconque. Des magnétiseurs affirment qu'ils peuvent influencer leurs malades en magnétisant la prolongation fluidique des membres coupés (Carl du Prel, la Doctrine monistique de l'âme, chapitre VI). Viennent ensuite les apparitions des fantômes des vivants. Dans beaucoup de cas, le corps fluidique, concrété, a impressionné des plaques photographiques, laissé des empreintes et des moulages dans des substances molles, des traces sur la poussière et la suie, provoqué le déplacement d'objets etc. (Voir Dans l'Invisible, chapitres XII et XX).


3 La règle n'est pas absolue. Le cerveau de Gambetta, par exemple, ne pesait que 1.246 grammes, alors que la moyenne humaine est de 1.500 à 1.800 grammes. Ajoutons, d'ailleurs, que la théorie des localisations cérébrales qui prédominait dans la physiologie a été mise en sérieux échec par des «cas fameux et fréquents de lésions étendues dans les régions essentielles, ne s'accompagnant d'aucun trouble psychique grave, ni d'aucune restriction de la personnalité». Voir le cas célèbre publié par le docteur Guépin en mars 1917 et les faits nombreux de blessures de guerre spécialement étudiés par le docteur Troude (Revue métapsychique, n° 1, 1921-1922).


4 Claude Bernard, la Science expérimentale ; Phénomènes de la vie.


5 Nous entendons ici par esprit le principe de l'intelligence.