X. - LA MORT.

La mort n'est qu'un changement d'état, la destruction d'une forme fragile qui ne fournit plus à la vie les conditions nécessaires à son fonctionnement et à son évolution. Au-delà de la tombe, une autre phase de l'existence s'ouvre. L'esprit, sous sa forme fluidique, impondérable, s'y prépare à des réincarnations nouvelles, il trouve dans son état mental les fruits de l'existence qui vient de finir.

Partout est la vie. La nature entière nous montre, dans son cadre merveilleux, le perpétuel renouvellement de toutes choses. Nulle part la mort, telle qu'on la considère généralement autour de nous ; nulle part l'anéantissement. Aucun être ne peut périr dans son principe de vie, dans son unité consciente. L'univers est débordant de vie physique et psychique. Partout, l'immense fourmillement des êtres, l'élaboration d'âmes qui n'échappent aux lentes et obscures préparations de la matière qu'afin de poursuivre, dans les étapes de la lumière, leur magnifique ascension.

La vie de l'homme est comme le soleil des régions polaires pendant l'été. Il descend lentement, il baisse, s'affaiblit, semble disparaître un instant sous l'horizon. En apparence, c'est la fin ; mais aussitôt, il se relève, pour décrire de nouveau son orbe immense dans le ciel.

La mort n'est donc qu'une éclipse d'un instant dans cette grande révolution de nos existences. Mais cet instant suffit pour nous révéler le sens grave et profond de la vie. La mort, elle aussi, peut avoir sa noblesse, sa grandeur. Il ne faut pas la craindre, mais plutôt s'efforcer de l'embellir, en s'y préparant sans cesse par la recherche et la conquête de la beauté morale, la beauté de l'esprit, qui moule le corps, et l'orne d'un reflet auguste, à l'heure des suprêmes séparations. La façon dont nous savons mourir est déjà, par elle-même, une indication de ce que sera, pour chacun de nous, la vie de l'espace.

Il y a comme une lumière froide et pure autour de l'oreiller de certains lits de mort. Des visages, jusque là insignifiants, semblent s'auréoler des clartés de l'Au-delà. Un silence imposant se fait autour de ceux qui ont quitté la terre. Les vivants, témoins de la mort, sentent de grandes et austères pensées se dégager du fonds banal de leurs impressions habituelles et donner un peu de beauté à leur vie intérieure. La haine, les mauvaises passions ne résistent pas à ce spectacle. Devant le corps d'un ennemi, toute animosité s'apaise, tout désir de vengeance s'évanouit. Près d'un cercueil, le pardon semble plus facile, le devoir plus impérieux.

Toute mort est un enfantement, une renaissance. C'est la manifestation d'une vie jusque-là cachée en nous, vie invisible de la terre qui va se réunir à la vie invisible de l'espace. Après un temps de trouble, nous nous retrouvons, de l'autre côté du tombeau, dans la plénitude de nos facultés et de notre conscience, près des êtres aimés qui partagèrent les heures tristes ou joyeuses de notre existence terrestre. La tombe ne renferme qu'une vaine poussière. Elevons plus haut nos pensées et nos souvenirs, si nous voulons retrouver la trace des âmes qui nous furent chères.

Ne demandez pas aux pierres du sépulcre le secret de la vie. Sachez-le, les ossements et les cendres qui reposent là ne sont rien. Les âmes qui les ont animés ont quitté ces lieux. Elles revivent sous des formes plus subtiles, plus affinées. Du sein de l'invisible, où vos prières les atteignent et les émeuvent, elles vous suivent du regard ; elles vous répondent et vous sourient. La révélation spirite vous apprendra à communiquer avec elles, à unir vos sentiments dans un même amour, dans une ineffable espérance.

Ils sont souvent à vos côtés, les êtres pleurés que vous allez chercher au cimetière. Ils reviennent et veillent sur vous, ceux qui ont été la force de votre jeunesse, qui vous ont bercés dans leurs bras, les amis, compagnons de vos joies et de vos douleurs ; et toutes les formes, tous les doux fantômes des êtres rencontrés sur votre route, qui ont été mêlés à votre existence et ont emporté avec eux un peu de vous-même, de votre âme et de votre coeur. Autour de vous flotte la foule des hommes disparus dans la mort, foule confuse qui revit, vous appelle et vous montre le chemin à parcourir.

O mort ! ô majesté sereine ! toi dont on fait un épouvantail, tu n'es pour le penseur qu'un instant de repos, la transition entre deux actes de la destinée, dont l'un s'achève et l'autre se prépare ! Quand ma pauvre âme, errante depuis tant de siècles de par les mondes, après bien des luttes, des vicissitudes et des déceptions, après bien des illusions éteintes et des espérances ajournées, ira se reposer de nouveau dans ton sein, c'est avec joie qu'elle saluera l'aube de la vie fluidique. C'est avec ivresse qu'elle s'élèvera du milieu des poussières terrestres, à travers les espaces insondables, vers ceux qu'elle a chéris ici-bas et qui l'attendent.

Pour la plupart des hommes, la mort reste le grand mystère, le sombre problème qu'on n'ose regarder en face. Pour nous, elle est l'heure bénie où le corps fatigué retourne à la grande nature pour laisser à Psyché, sa prisonnière, un libre passage vers la patrie éternelle.

Cette patrie, c'est l'immensité radieuse, parsemée de soleils et de sphères. Près d'eux, combien notre pauvre Terre paraîtrait chétive ! L'infini l'enveloppe de toutes parts. Il n'y a pas plus de fin dans l'étendue qu'il n'y en a dans la durée, qu'il s'agisse de l'âme ou de l'univers.

De même que chacune de nos existences a son terme et doit s'évanouir pour faire place à une autre vie, de même chacun des mondes semés dans l'univers doit mourir pour faire place à d'autres mondes plus parfaits.

Un jour viendra où la vie humaine s'éteindra sur le globe refroidi. La Terre, vaste nécropole, roulera, morne, dans l'étendue silencieuse. Des ruines imposantes s'élèveront où auront été Rome, Paris, Constantinople, cadavres de capitales, derniers vestiges de races éteintes, gigantesques livres de pierre que nul oeil de chair ne lira plus. Mais l'humanité n'aura disparu de la terre qu'afin de poursuivre, sur des sphères mieux douées, d'autres étapes de son ascension. La vague du progrès aura poussé toutes les âmes terrestres vers des planètes mieux aménagées pour la vie. Il est probable que des civilisations prodigieuses fleuriront alors sur Saturne et sur Jupiter ; des humanités renaissantes s'y épanouiront dans une gloire incomparable. Là est la place future des humains, leur nouveau champ d'action, les lieux bénis où il leur sera donné d'aimer encore et de travailler à leur perfectionnement.

Au milieu de leurs travaux, le triste souvenir de la terre viendra peut-être hanter encore ces esprits ; mais, des hauteurs atteintes, la mémoire des douleurs subies, des épreuves endurées, ne sera plus qu'un stimulant pour s'élever plus haut.

En vain l'évocation du passé fera-t-elle surgir à leurs yeux les spectres de chair, les tristes dépouilles couchées dans les sépultures terrestres, la voix de la sagesse leur dira :

«Qu'importent les ombres évanouies ! Rien ne périt. Tout être se transforme, s'éclaire, monte les degrés qui conduisent de sphère en sphère, de soleil en soleil, jusqu'à Dieu. Esprit impérissable, souviens-toi de ceci : Il n'y a pas de mort !»

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Les enseignements et le cérémonial des Eglises n'ont pas peu contribué, en représentant la mort sous des formes lugubres, à faire naître un sentiment de terreur dans les esprits. De leur côté, les doctrines matérialistes n'étaient pas faites pour réagir contre cette impression.

A l'heure du crépuscule, quand la nuit descend sur la terre, une sorte de tristesse s'empare de nous. Nous la chassons facilement en nous disant : après l'obscurité, la lumière reviendra ; la nuit n'est qu'une veille d'aurore ! Lorsque l'été s'achève et qu'à l'épanouissement de la nature va succéder le morne hiver, nous nous consolons dans la pensée des floraisons futures. Pourquoi donc cet effroi de la mort, cette anxiété poignante, au sujet d'un acte qui n'est le terme de rien ?

C'est presque toujours parce que la mort nous paraît être la perte, la privation soudaine de tout ce qui faisait notre joie.

Le spiritualiste sait qu'il n'en est rien ; la mort est, pour lui, l'entrée dans un mode de vie plus riche d'impressions et de sensations. Non seulement nous n'y sommes pas privés des choses vivantes de l'esprit, mais celles-ci s'augmenteront de ressources nouvelles, d'autant plus étendues et plus variées que l'âme se sera mieux préparée à en jouir.

La mort ne nous prive même pas des choses de ce monde. Nous continuerons à voir ceux que nous aimons et laissons après nous. Du sein des espaces, nous suivrons les progrès de cette planète ; nous verrons les changements qui s'accomplissent à sa surface ; nous assisterons aux nouvelles découvertes, au développement social, politique et religieux des nations. Et jusqu'à l'heure de notre retour dans la chair, nous y participerons fluidiquement, en aidant, en influençant, dans la mesure de notre pouvoir et de notre avancement, ceux qui travaillent au profit de tous.

Bien loin de chasser l'idée de la mort, comme nous le faisons généralement, sachons donc la considérer en face, pour ce qu'elle est réellement. Efforçons-nous de la dégager des ombres et des chimères dont elle a été enveloppée, et demandons-nous de quelle façon il convient de se préparer à cet incident naturel et nécessaire du cours de la vie.

Nécessaire, disons-nous. En effet, qu'arriverait-il si la mort était supprimée ? Le globe deviendrait trop étroit pour contenir la foule des humains. L'âge et la décrépitude aidant, la vie nous semblerait, à un moment donné, tellement insupportable, que nous préférerions tout à sa prolongation indéfinie. Un jour viendrait où ayant épuisé tous les moyens d'étude, de travail, de coopération utile à l'action commune, l'existence revêtirait pour nous un caractère accablant de monotonie.

Notre progrès, notre élévation l'exigent : nous devons être débarrassés, un jour ou l'autre, de cette enveloppe charnelle, qui, après avoir rendu les services attendus, devient impropre à nous suivre sur les autres plans de notre destinée. Comment ceux qui croient à l'existence d'une Sagesse prévoyante, d'un Pouvoir ordonnateur - quelle que soit d'ailleurs la forme prêtée par eux à ce Pouvoir - comment ceux-là peuvent-ils considérer la mort comme un mal ? Si elle joue un rôle important dans l'évolution des êtres, n'est-ce pas parce qu'elle est une des phases voulues de cette évolution, le pendant naturel de la naissance, un des éléments essentiels du plan de la vie ?

L'Univers ne peut faillir. Son but est la beauté ; ses moyens, la justice et l'amour. Fortifions-nous dans la pensée des avenirs sans limites. La confiance en la survie stimulera nos efforts, les rendra plus féconds. Aucune oeuvre patiente et haute ne peut réussir sans la certitude des lendemains. Chaque fois qu'elle frappe autour de nous, la mort, en sa splendeur austère, devient un enseignement, une invitation à mieux faire, à mieux agir, à accroître sans cesse notre valeur d'âme.

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L'appareil dont on entoure les inhumations laisse une autre impression non moins pénible, dans le souvenir des assistants. La pensée que notre enveloppe sera, elle aussi, déposée dans la terre, provoque comme une sensation d'angoisse et d'étouffement. Cependant, tous les corps que nous avons animés dans le passé reposent également sous le sol ou se sont lentement transformés en fleurs et en végétaux. Ces corps n'étaient que des vêtements usés ; notre personnalité n'a pas été ensevelie avec eux. Peu nous importe aujourd'hui ce qu'ils sont devenus. Pourquoi le sort du dernier d'entre eux nous préoccuperait-il davantage ? Socrate répondait justement à la question de ses amis lui demandant comment il voulait être enterré : «Enterrez-moi comme il vous plaira, si seulement vous pouvez me saisir1

Trop souvent, l'imagination de l'homme peuple les régions de l'Au-delà de créations effrayantes qui les rendent redoutables pour lui. Certaines Eglises enseignent aussi que les conditions bonnes ou mauvaises de la vie future sont déterminées à la mort, d'une manière définitive, irrévocable, et cette affirmation trouble l'existence de bien des croyants. D'autres redoutent l'isolement, l'abandon au sein des espaces.

La révélation des Esprits vient mettre un terme à toutes ces appréhensions ; elle nous apporte sur la vie d'outre-tombe des indications précises2. Elle dissipe cette incertitude cruelle, cette crainte de l'inconnu qui nous hante. La mort, nous dit-elle, ne change rien à notre nature spirituelle, à nos caractères, à ce qui constitue notre véritable moi. Elle nous rend seulement plus libres, libres d'une liberté dont l'étendue se mesure à notre degré d'avancement. D'un côté comme de l'autre, nous avons la possibilité de faire le bien ou le mal, la facilité d'avancer, de progresser, de nous réformer. Partout règnent les mêmes lois, les mêmes harmonies, les mêmes puissances divines. Rien n'est irrévocable. L'amour qui nous appelle en ce monde nous attire plus tard vers l'autre ; mais en tous lieux, des amis, des protecteurs, des soutiens nous attendent. Tandis qu'ici-bas nous pleurons le départ d'un des nôtres, comme s'il allait se perdre dans le néant, au-dessus de nous des êtres éthérés glorifient son arrivée dans la lumière, de la même façon que nous nous réjouissons à l'arrivée d'un petit enfant, dont l'âme vient éclore de nouveau à la vie terrestre. Les morts sont les vivants du ciel.

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Beaucoup de personnes redoutent la mort à cause des souffrances physiques qui l'accompagnent. On souffre, il est vrai, dans la maladie qui aboutit à la mort, mais on souffre aussi dans les maladies dont on guérit. L'instant de la mort, nous disent les Esprits, est presque toujours sans douleur. On meurt comme on s'endort. Cette opinion est confirmée par tous ceux que leur profession et leur devoir appellent fréquemment au chevet des mourants.

Cependant, à considérer le calme, la sérénité de certains malades aux heures ultimes et l'agitation convulsive, l'agonie des autres, on doit reconnaître que les sensations précédant la mort sont très diverses suivant les individus. Les souffrances sont d'autant plus vives que les liens unissant l'âme au corps sont plus nombreux et plus puissants. Tout ce qui peut les amoindrir, les affaiblir, rendra le dégagement plus rapide, la transition moins douloureuse.

Si la mort est souvent exempte de souffrance pour celui dont la vie fut noble et belle, il n'en est pas de même pour les sensuels, les violents, les coupables, les suicidés.

Aussitôt le passage franchi, une sorte de trouble, d'engourdissement envahit la plupart des âmes qui n'ont pas su se préparer au départ. Dans cet état, leurs facultés sont voilées ; elles ne perçoivent plus qu'à travers un brouillard plus ou moins dense. La durée de ce trouble varie suivant leur nature et leur valeur morale. Il peut être très prolongé pour les plus arriérées et même embrasser des années entières. Puis, peu à peu, la brume s'éclaircit ; les perceptions deviennent plus nettes. L'esprit recouvre sa lucidité ; il s'éveille à sa vie nouvelle, la vie de l'espace. Instant solennel pour lui, plus décisif, plus redoutable que l'heure de la mort, car, suivant sa valeur et son degré de pureté, ce réveil sera calme et délicieux, plein d'anxiété ou de souffrance.

Dans l'état de trouble, l'âme est consciente des pensées dirigées vers elle. Les pensées d'amour, de charité, les vibrations des coeurs affectueux brillent pour elle comme des rayons dans la brume qui l'enveloppe ; elles l'aident à se dégager des derniers liens qui l'enchaînent à la terre, à sortir de l'ombre où elle est plongée. C'est pourquoi les prières inspirées par le coeur, dites avec chaleur et conviction, les prières improvisées surtout, sont salutaires, bienfaisantes pour l'esprit qui a quitté la vie corporelle. Par contre, les oraisons vagues, puériles, des Eglises, restent souvent sans effet. Prononcées machinalement, elles n'acquièrent pas cette puissance vibratoire qui fait de la pensée à la fois une force pénétrante et une lumière.

Le cérémonial religieux en usage apporte généralement peu d'aide et de réconfort aux défunts. L'ignorance des conditions de la survivance rend ceux qui participent à ces manifestations indifférents et distraits. C'est presque un scandale de voir avec quel laisser-aller on prend part, à notre époque, à une cérémonie mortuaire. L'attitude des assistants, le manque de recueillement, les conversations banales échangées pendant la conduite au cimetière, tout impressionne péniblement. Bien peu, parmi ceux qui suivent le convoi, songent au défunt et considèrent comme un devoir de projeter vers lui une pensée affectueuse.

Les prières ferventes de ses amis, de ses proches sont bien plus efficaces pour l'esprit du mort que les manifestations du culte le plus pompeux. Toutefois, il n'est pas bon de nous complaire outre mesure dans la douleur de la séparation. Certes, les regrets du départ sont légitimes et les larmes sincères sont sacrées ; mais, trop violents, ces regrets attristent et découragent celui qui en est l'objet et, souvent, le témoin. Au lieu de faciliter son essor vers l'espace, ils le retiennent aux lieux où il a souffert et où souffrent encore ceux qui lui sont chers.

On se demande parfois ce qu'il faut penser des morts précoces, des morts accidentelles, des catastrophes qui détruisent d'un seul coup de nombreuses existences humaines. Comment concilier ces faits avec l'idée de plan, de prévoyance, d'harmonie universelle ? Et si l'on quitte volontairement la vie, par un acte de désespoir, qu'advient-il ? Quel est le sort des suicidés ?

Les existences brisées prématurément sont arrivées à leur terme prévu. Ce sont, en général, des compléments d'existences antérieures qui ont été tronquées à la suite d'abus ou d'excès. Lorsque, du fait d'habitudes déréglées, on a épuisé les ressources vitales avant l'heure marquée par la nature, on doit revenir parfaire, en une existence plus courte, le laps de temps que l'existence précédente aurait dû normalement embrasser. Il arrive que les êtres humains passibles de cette réparation sont assemblés sur un point par la force du destin, pour subir, dans une mort tragique, les conséquences d'actes se rattachant au passé pré-natal. De là, les morts collectives, les catastrophes qui jettent dans le monde un avertissement. Ceux qui partent ainsi ont achevé le temps pendant lequel ils devaient vivre et vont se préparer à d'autres existences meilleures.

Quant aux suicidés, le trouble où ils se trouvent plongés après la mort est profond, pénible, douloureux. L'angoisse les étreint et les suit jusque dans leur réincarnation ultérieure. Leur geste criminel a causé au corps fluidique un ébranlement violent et prolongé, qui se transmettra à l'organisme charnel à la renaissance. La plupart reviennent infirmes sur la terre. La vie étant dans toute sa force chez le suicidé, l'acte brutal qui la brise produira de longues répercussions dans son état vibratoire et déterminera des affections nerveuses dans ses vies terrestres à venir.

Le suicidé cherche le néant et l'oubli de toutes choses. Il se retrouve, au contraire, en face de sa conscience, dans laquelle reste gravé, à l'infini, le souvenir pitoyable de sa désertion dans le combat de la vie. Il n'est pas, sur terre, d'épreuve si dure, de souffrance si cruelle qui ne soit préférable à ce perpétuel reproche de l'âme, à la honte de ne pouvoir plus s'estimer soi-même. La destruction violente de ressources physiques qui pouvaient lui être utiles encore et même fécondes ne délivre pas le suicidé des épreuves qu'il a voulu fuir, car il lui faudra renouer la chaîne brisée de ses existences et retrouver avec elle la série inévitable, aggravée des actes et des conséquences par lui-même engendrés.

Les motifs de suicide sont d'ordre passager et humain ; les raisons de vivre sont d'ordre éternel et surhumain. La vie, résultat de tout un passé, instrument du devenir, est, pour chacun de nous, ce qu'elle doit être, dans la balance infaillible du destin. Acceptons-en avec courage les vicissitudes, qui sont autant de remèdes à nos imperfections, et sachons attendre avec patience l'heure fixée par la loi équitable comme terme de notre étape terrestre.

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La connaissance que nous avons pu acquérir des conditions de la vie future exerce une grande influence sur nos derniers moments. Elle nous donne plus d'assurance ; elle rend plus prompt le dégagement de l'âme. Pour se préparer utilement à la vie de l'Au-delà, il faut, non seulement être convaincu de sa réalité, mais aussi en comprendre les lois, voir par la pensée les avantages et les conséquences de nos efforts vers l'idéal moral. Nos études psychiques, les rapports établis durant la vie avec le monde invisible, nos aspirations vers des modes d'existence plus élevés ont développé nos facultés latentes et, quand vient l'heure définitive, le détachement corporel étant déjà effectué en partie, le trouble est de peu de durée. L'esprit se reconnaît presque aussitôt ; tout ce qu'il voit lui est familier ; il s'adapte sans effort et sans émoi aux conditions de son nouveau milieu.

Aux approches de la dernière heure, les mourants entrent souvent en possession de leurs sens psychiques et perçoivent les êtres et les choses de l'invisible. Les exemples sont nombreux. En voici quelques-uns, empruntés à l'enquête faite par M. E. Bozzano, dont les résultats ont été publiés par les Annales des Sciences psychiques de mars 1906 :

I° CAS. - Dans la vie du Rév. Dwight L. Moody (ardent propagandiste évangéliste aux Etats-Unis), écrite par son fils (page 485), on trouve le récit suivant de ses derniers moments :

«On l'entendit soudain murmurer : «La terre s'éloigne, le ciel s'ouvre devant moi ; j'en ai dépassé les limites. Ne me rappelez pas ; tout cela est beau ; on dirait une vision d'extase. Si c'est cela la mort, qu'elle est douce !...» Son visage se raviva et, avec une expression de joyeux ravissement : «Dwight ! Irène ! Je vois "les enfants !"» (il faisait allusion à deux de ses petits-fils, qui étaient morts.) Ensuite, se tournant vers sa femme, il lui dit : «Tu as toujours été une bonne compagne pour moi.» Apres ces mots, il perdit connaissance.»

II° CAS. - M. Alfred Smedley, aux pages 50 et 51 de son ouvrage Some Reminiscences, raconte comme il suit les derniers moments de sa femme :

«Quelques instants avant sa mort, ses yeux se fixèrent sur quelque chose qui sembla les remplir d'une surprise vive et agréable ; alors, elle dit : «Comment ! voici ma soeur Charlotte, voici ma mère, mon père, mon frère Jean, ma soeur Marie ! Maintenant ils m'amènent aussi Bessy Heap ! ils sont tous ici ; oh ! que c'est beau ! que c'est beau ! Ne les vois-tu pas ? - Non, ma chère, répondis-je, et je le regrette bien. - Tu ne peux donc pas les voir ? répéta la malade avec surprise. Ils sont pourtant tous ici ; ils sont venus pour m'emmener avec eux. Une partie de notre famille a déjà traversé la grande mer, et bientôt nous nous trouverons tous réunis dans le nouveau séjour céleste.» - J'ajouterai ici que Bessy Heap avait été une servante très fidèle, très attachée à notre famille et qu'elle avait toujours eu une affection particulière pour ma femme.

Après cette vision extatique, la malade resta quelque temps comme épuisée ; enfin, tournant fixement le regard vers le ciel et soulevant le bras, elle expirait.»

III° CAS. - Le docteur Paul Edwards écrivait, en avril 1903, au directeur du Light, de Londres :

«Vers 1887, alors que j'habitais dans une ville de la Californie, je fus appelé au chevet d'une amie à laquelle j'étais fort attaché et qui se trouvait à toute extrémité, par suite d'une maladie de poitrine. Tout le monde savait que cette femme pure et noble, cette mère exemplaire, était vouée à une mort imminente : elle finit par s'en rendre compte aussi et voulut alors s'apprêter au grand moment. Ayant fait venir ses enfants auprès de son lit, elle les embrassait tour à tour, après quoi elle les renvoyait. Son mari s'approcha en dernier lieu, afin de lui donner et d'en recevoir le suprême adieu. Il la trouva en pleine possession de ses facultés intellectuelles. Elle commença par dire : «Newton (c'est le nom du mari)... ne pleure pas, car je ne souffre point, et j'ai l'âme prête et sereine. Je t'ai aimé sur la terre ; je t'aimerai encore après mon départ. Je me propose de venir à toi, si cela m'est possible ; ou bien je veillerai du ciel sur toi, sur mes enfants, en attendant votre venue. Maintenant, mon plus vif désir est de m'en aller... J'aperçois plusieurs ombres qui s'agitent autour de nous... toutes vêtues de blanc..... J'entends une mélodie délicieuse... Oh, voici, ma Sadie ! Elle est près de moi.» (Sadie était une petite enfant qu'elle avait perdue dix ans auparavant). «Sissy, lui dit le mari, ma Sissy, ne vois-tu pas que tu rêves ? - Ah ! mon cher, répondit la malade, pourquoi m'as-tu rappelée ? A présent j'aurai plus de peine à m'en aller. Je me sentais si heureuse dans l'Au-delà ; c'était si beau !» Après trois minutes environ, la mourante ajouta : «Je m'en vais de nouveau, et cette fois je ne reviendrai pas, quand même tu m'appellerais.»

Cette scène eut la durée de huit minutes. On voyait bien que la mourante jouissait de la vision complète des deux mondes en même temps, car elle parlait des figures qui se mouvaient autour d'elle, dans l'Au-delà, et, en même temps, elle adressait la parole aux mortels en ce monde... Jamais il ne m'est arrivé d'assister à un trépas plus impressionnant, plus solennel.»

Les Annales relatent encore un grand nombre de cas ou le malade perçoit des apparitions de défunts dont il ignorait le décès. Cinq cas sensationnels sont empruntés aux Proceedings of the S. P. R., de Londres ; ces cas s'appuient sur des témoignages de haute valeur.

M. E. Bozzano, en terminant son exposé, se demande si ces phénomènes pourraient être expliqués par la subconscience ou la lecture des pensées. Il conclut par la négative et s'exprime ainsi3 :

«Ces hypothèses ne se recommandent guère par la simplicité et n'ont pas le don de convaincre facilement un investigateur impartial. Il est clair que, par de pareilles théories si embrouillées et bien plus ingénieuses que sérieuses, on dépasse les frontières de l'induction scientifique, pour entrer à voiles déployées dans le domaine illimité du fantastique.»

Voici encore deux autres faits, publiés par les Annales des Sciences psychiques de mai 1911. Ils présentent certains traits d'analogie avec les précédents, mais en outre, s'enrichissent de détails qui nous apprennent comment s'opère au décès la séparation du corps fluidique et du corps matériel.

Mrs Florence Marryat écrit ce qui suit dans The Spirit World (le Monde des Esprits, 128) :

«Je compte parmi mes plus chères amies une jeune dame appartenant aux hautes classes de l'aristocratie, qui est douée de facultés médiumniques merveilleuses. Il y a quelques années, elle eut le malheur de perdre sa soeur aînée, alors âgée de vingt ans, emportée par une forte pleurésie. Edith (je désignerai par ce nom la jeune médium) ne voulut pas se détacher un instant du chevet de sa soeur, et là, passée en état de clairvoyance, elle put assister au processus de séparation de l'esprit et du corps. Elle commença d'abord à percevoir une sorte de nébulosité légère, semblable à une fumée qui, se condensant graduellement au-dessus de sa tête, avait fini par assumer les proportions, les formes et les traits de sa soeur mourante, de façon à lui ressembler dans chaque détail. Cette forme flottait dans l'air, à quelques pieds de la malade.

A mesure que le jour déclinait, l'agitation de la malade se calmait, précurseur de l'agonie. Edith contemplait avidement sa soeur : le visage devenait livide, le regard s'obscurcissait, mais en haut, la forme fluidique s'empourprait et semblait s'animer graduellement de la vie qui abandonnait le corps. Un moment après, la mourante gisait inerte et sans connaissance sur les oreillers, mais la forme était devenue un esprit vivant. Cependant des cordons de lumière, semblables à des fluorescences électriques, le rattachaient encore au coeur, au cerveau et aux autres organes vitaux. Le moment suprême arrivé, l'esprit oscilla quelque temps d'un côté à l'autre, pour venir ensuite se placer à côté du corps inanimé. Il était en apparence très faible et à peine capable de se soutenir.

Et tandis qu'Edith contemplait cette scène, voici que se présentèrent deux formes lumineuses dans lesquelles elle reconnut son propre père et sa grand-mère, décédés tous deux dans cette même maison. Elles s'approchèrent de l'esprit nouveau-né, le soutinrent affectueusement et l'étreignirent. Puis elles arrachèrent des cordons de lumière qui le liaient encore au corps, et, le serrant toujours dans leurs bras, se dirigèrent vers la fenêtre, s'élevèrent et disparurent.

W. Stainton Moses, professeur à l'Université d'Oxford et pasteur de l'Eglise anglicane, publiait dans le Light :

«J'eus récemment, et pour la première fois de ma vie, l'occasion d'étudier les procédés de transition de l'esprit. J'appris tant de choses de cette expérience, que je me flatte d'être utile à d'autres en racontant ce que j'ai vu... Il s'agissait d'un parent à moi, âgé de presque quatre-vingts ans... Je m'étais aperçu par certains symptômes que sa fin était proche, et j'étais accouru pour accomplir mon triste et dernier devoir...

Grâce à mes sens médianimiques je pouvais discerner qu'autour de son corps et au-dessus se massait l'aura nébuleuse avec laquelle l'esprit devait se former un corps spirituel ; et je percevais qu'elle augmentait à mesure de volume et de densité, quoique soumise à des variations continues en plus ou en moins, selon les oscillations subies dans la vitalité du mourant. Je pus ainsi remarquer que parfois un léger aliment pris par le malade ou une influence magnétique dégagée par une personne s'approchant de lui avait pour résultat d'aviver momentanément le corps. Cette aura semblait donc continuellement en flux et en reflux.

J'assistai à ce spectacle pendant douze jours et douze nuits, et bien que le septième jour déjà le corps eût donné des signes de son imminente dissolution, cette fluctuation de la vitalité spirituelle en voie d'extériorisation persistait. Par contre, la coloration de l'aura avait changé ; cette dernière prenait en outre des formes de plus en plus définies à mesure que l'heure de la libération s'approchait pour l'esprit. Vingt-quatre heures seulement avant la mort, lorsque le corps gisait inerte, le processus de libération progressa. Au moment suprême, je vis apparaître des formes d' «esprits gardiens» qui s'approchèrent du mourant, et, sans aucun effort, séparèrent l'esprit de ce corps épuisé.

Lorsque les cordons magnétiques se brisèrent enfin, les traits du défunt, sur lesquels on lisait les souffrances subies, se rassérénèrent complètement et s'imprégnèrent d'une ineffable expression de paix et de repos.»

Enfin citons deux témoignages français : Le docteur Haas, président de la Société des Etudes psychiques de Nancy écrivait dans le Bulletin de cette société, 1906, page 56 : «Un fait à signaler et dont j'ai été le témoin, c'est que souvent, peu d'instants avant de mourir, des aliénés retrouvent leur complète lucidité.» Le docteur Teste, dans le Manuel pratique du magnétisme animal, déclare également avoir rencontré des fous qui cessaient de l'être à l'agonie, c'est-à-dire quand la conscience passe au corps fluidique.

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En résumé, le meilleur moyen de s'assurer une mort douce et paisible, c'est de vivre dignement, simplement, sobrement, d'une vie sans tares et sans faiblesses ; en nous détachant par anticipation de tout ce qui nous lie à la matière ; en idéalisant notre existence, en la peuplant de hautes pensées et de nobles actions.

Il en est de même des conditions bonnes ou mauvaises de la vie d'outre-tombe. Elles aussi dépendent uniquement de la façon dont nous développons nos tendances, nos appétits, nos désirs. C'est dans le présent qu'il faut se préparer, agir, se réformer, et non pas au moment où la fin terrestre s'approche. Il serait puéril de croire que notre situation future dépend de certaines formalités plus ou moins bien remplies à l'heure du départ. C'est notre vie entière qui répond de la vie à venir. L'une et l'autre se relient étroitement ; elles forment une suite de causes et d'effets que la mort n'interrompt pas.

Il n'importe pas moins de dissiper les chimères dont certains cerveaux sont hantés, au sujet des lieux réservés aux âmes après la mort et où des êtres hideux doivent les conduire pour les tourmenter. Celui qui a pris soin de notre naissance, nous plaçant en venant au monde dans des bras aimants, tendus pour nous recevoir, nous réserve aussi des affections à notre arrivée dans l'Au-delà. Chassons loin de nous les vaines terreurs, les visions infernales, les béatitudes illusoires. L'avenir comme le présent, c'est l'activité, le travail ; c'est la conquête de nouveaux grades. Ayons confiance en la bonté de Dieu, en son amour pour ses créatures et avançons d'un coeur ferme vers le but qu'il a fixé à toute vie.

Nous n'avons pas d'autre juge, pas d'autre bourreau au-delà de la tombe que notre propre conscience. Dégagée des entraves terrestres, elle acquiert un degré d'acuité difficile à comprendre pour nous. Trop souvent assoupie durant la vie, elle se réveille à la mort et sa voix s'élève. Elle évoque les souvenirs du passé ; dépouillés de toute illusion, ils lui apparaissent sous leur véritable jour, et nos moindres fautes deviennent une cause de regrets.

Ainsi que l'a dit Myers : «Il n'est pas besoin de purification par le feu ; la connaissance de soi-même est la seule punition et la seule récompense de l'homme.» L'harmonie est partout, dans la marche solennelle des mondes comme dans celle des destinées. Chacun est classé suivant ses aptitudes dans l'ordre universel. Aux grands Esprits les hautes tâches, les créations du génie ; aux âmes faibles les oeuvres médiocres, les missions inférieures. Par tout l'essor de nos vies, nous allons vers le rôle qui nous convient et nous échoit légitimement.

Faisons-nous donc des âmes puissantes, riches de science et de vertu, aptes aux oeuvres grandioses, et elles se créeront d'elles-mêmes une noble place dans l'ordre éternel. Par la haute culture morale, par la conquête de l'énergie, de la dignité, de la bonté, efforçons-nous d'atteindre au niveau des grands Esprits qui travaillent pour la cause des humanités, et plus tard nous goûterons avec eux les joies réservées au vrai mérite. Alors, la mort, au lieu d'être un épouvantail, deviendra, à nos yeux, un bienfait, et nous pourrons répéter le mot célèbre de Socrate : «Ah ! s'il en est ainsi, laissez-moi mourir encore et encore !»


1 On nous demande souvent si la crémation est préférable à l'inhumation, au point de vue du dégagement de l'esprit. Les Invisibles, consultés, répondent qu'en thèse générale la crémation provoque un dégagement plus rapide, mais brusque et violent, douloureux même pour l'âme attachée à la terre par ses habitudes, ses goûts, ses passions. Il faut un certain entraînement psychique, un détachement anticipé des liens matériels pour subir sans déchirement l'opération crématoire. C'est le cas pour la plupart des Orientaux, chez qui la crémation est en usage. Dans nos pays d'Occident, où l'homme psychique est peu développé peu préparé à la mort, l'inhumation doit être préférée, car elle procure aux individus attachés à la matière, un dégagement lent et gradué de l'esprit hors du corps. Elle devrait cependant être entourée de grandes précautions. Les inhumations sont, chez nous, beaucoup trop précipitées ; elles entraînent parfois des erreurs déplorables, par exemple l'ensevelissement de personnes en état de léthargie.


2 Voir Allan Kardec, le Ciel et l'Enfer.


3 Annales des Sciences psychiques, mars 1906, page 171.