21 septembre 1861
(Chez moi, Méd. M. d'A...)

Autodafé de Barcelone. Saisie des livres.

Sur la demande de M. Lachâtre, alors établi à Barcelone, je lui avais expédié en nombre le Livre des Esprits, le Livre des médiums, les collections de la Revue spirite et divers ouvrages et brochures spirites, formant un total de 300 volumes environ. L'expédition avait été faite régulièrement par son correspondant de Paris, dans une caisse contenant d'autres marchandises, et sans la moindre infraction à la légalité. A l'arrivée des livres, on fit payer au destinataire les droits d'entrée, mais avant de les délivrer, on dut en référer à l'Evêque, l'autorité ecclésiastique ayant, dans ce pays, la police de la librairie. Celui-ci était alors à Madrid ; à son retour, sur le rapport qu'il s'en fit faire, il ordonna que lesdits ouvrages seraient saisis et brûlés en place publique par la main du bourreau. L'exécution de la sentence fut fixée au 9 octobre 1861.

Si l'on avait cherché à introduire ces ouvrages en contrebande, l'autorité espagnole eût été dans son droit d'en disposer à sa guise ; mais dès l'instant qu'il n'y avait point fraude ni surprise, ce que prouvaient les droits volontairement acquittés, il était de rigoureuse justice qu'elle en ordonnât la réexportation, s'il ne lui convenait pas de les admettre. Les réclamations faites auprès du consul français à Barcelone furent sans résultat. M. Lachâtre me demanda s'il fallait en référer à l'autorité supérieure ; mon avis était de laisser consommer cet acte arbitraire ; néanmoins, je crus devoir prendre celui de mon guide spirituel.

Dem. (à la Vérité). - Vous n'ignorez pas, sans doute, ce qui vient de se passer à Barcelone, au sujet des ouvrages spirites ; auriez-vous la bonté de me dire s'il convient d'en poursuivre la restitution ?

Rép. - En droit, tu peux réclamer ces ouvrages et tu en obtiendrais certainement la restitution en t'adressant au Ministre des Affaires étrangères de France. Mais mon avis est qu'il résultera de cet autodafé un plus grand bien que ne produirait la lecture de quelques volumes. La perte matérielle n'est rien auprès du retentissement qu'un pareil fait donnera à la doctrine. Tu comprends combien une persécution aussi ridicule et aussi arriérée pourra faire progresser le Spiritisme en Espagne. Les idées s'en répandront avec d'autant plus de rapidité, et les ouvrages seront recherchés avec d'autant plus d'empressement qu'on les aura brûlés. Tout est bien.

Dem. - Convient-il de faire à ce sujet un article dans le prochain numéro de la Revue ?

Rép. - Attends l'autodafé.

9 octobre 1861

Autodafé de Barcelone.

Cette date marquera dans les annales du spiritisme par l'autodafé des livres spirites à Barcelone. Voici l'extrait du procès-verbal de l'exécution :

«Ce jour, neuf octobre, mil huit cent soixante et un, à dix heures et demie du matin, sur l'esplanade de la ville de Barcelone, au lieu où sont exécutés les criminels condamnés au dernier supplice, et par ordre de l'Evêque de cette ville, ont été brûlés trois cents volumes et brochures sur le Spiritisme, savoir : Le Livre des Esprits, par Allan Kardec... etc.»

Les principaux journaux d'Espagne ont rendu un compte détaillé de ce fait, que les organes de la presse libérale de ce pays ont justement flétri. Il est à remarquer qu'en France les journaux libéraux se sont bornés à le mentionner sans commentaires. Le Siècle lui-même, si ardent à stigmatiser les abus de pouvoir et les moindres actes d'intolérance, n'a pas trouvé un mot de réprobation pour cet acte digne du moyen âge. Quelques journaux de la petite presse y ont même trouvé le mot pour rire. Toute croyance à part, il y avait là une question de principe, de droit international intéressant tout le monde, sur laquelle ils n'auraient pas passé si légèrement s'il se fût agi de certains autres ouvrages. Ils ne tarissent pas de blâme quand il s'agit d'un simple refus d'estampille pour le colportage d'un livre matérialiste ; or, l'inquisition relevant ses bûchers avec l'antique solennité, à la porte de la France, avait une bien autre gravité. Pourquoi donc cette indifférence ? C'est qu'il s'agissait d'une doctrine dont l'incrédulité voit avec effroi les progrès ; revendiquer la justice en sa faveur, c'était consacrer son droit à la protection de l'autorité, et augmenter son crédit. Quoi qu'il en soit, l'autodafé de Barcelone n'en a pas moins produit l'effet attendu, par le retentissement qu'il a eu en Espagne, où il a puissamment contribué à propager les idées spirites. (Voir la Revue spirite de novembre 1861, p. 321.)

Cet événement a donné lieu à de nombreuses communications de la part des Esprits. Celle qui suit a été obtenue spontanément à la Société de Paris, le 19 octobre, à mon retour de Bordeaux.

«Il fallait quelque chose qui frappât d'un coup violent certains Esprits incarnés pour qu'ils se décidassent à s'occuper de cette grande doctrine qui doit régénérer le monde. Rien n'est inutilement fait sur votre terre pour cela et nous, qui avons inspiré l'autodafé de Barcelone, nous savions bien qu'en agissant ainsi nous ferions faire un pas immense en avant. Ce fait brutal, inouï dans les temps actuels, a été consommé à l'effet d'attirer l'attention des journalistes qui restaient indifférents devant l'agitation profonde qui remuait les villes et les centres spirites ; ils laissaient dire et ils laissaient faire ; mais ils s'obstinaient à faire la sourde oreille et répondaient par le mutisme au désir de propagande des adeptes du Spiritisme. Bon gré mal gré, il faut qu'ils en parlent aujourd'hui ; les uns en constatant l'historique du fait de Barcelone, les autres en le démentant, ont donné lieu à une polémique qui fera le tour du monde, et dont seul le Spiritisme profitera. Voilà pourquoi aujourd'hui, l'arrière-garde de l'inquisition a fait son dernier autodafé, ainsi que nous l'avons voulu.»

UN ESPRIT.

Nota. - Il m'a été envoyé de Barcelone un dessin à l'aquarelle fait sur les lieux par un artiste distingué, et représentant la scène de l'autodafé. J'en ai fait faire une photographie réduite. Je possède également des cendres recueillies sur le bûcher, parmi lesquelles se trouvent des fragments encore lisibles de feuilles brûlées. Je les ai conservées dans une urne de cristal1.

22 décembre 1861
(Chez moi ; communication particulière, Méd. M. d'A...)

Mon successeur.

Une conversation avec les Esprits ayant amené à parler de mon successeur dans la direction du Spiritisme, je posai la question suivante :

Dem. - Parmi les adeptes, beaucoup s'inquiètent de ce que deviendra le Spiritisme après moi et se demandent qui me remplacera quand je partirai, attendu qu'on ne voit personne se dessiner d'une manière notoire pour en prendre les rênes.

Je réponds que je n'ai pas la prétention d'être le seul être indispensable ; que Dieu est trop sage pour faire reposer l'avenir d'une doctrine qui doit régénérer le monde sur la vie d'un homme ; que, d'ailleurs, il m'a toujours été dit que ma tâche est de constituer la doctrine et qu'il me sera donné le temps nécessaire. Celle de mon successeur sera donc plus facile, puisque la route sera toute tracée, et qu'il lui suffira de la suivre. Néanmoins, si les Esprits jugeaient à propos de me dire quelque chose de plus positif à ce sujet, je leur en serais reconnaissant.

Rép. - Tout cela est rigoureusement vrai ; voici ce qu'il nous est permis de te dire de plus.

Tu as raison de dire que tu n'es pas indispensable : tu l'es aux yeux des hommes, parce qu'il était nécessaire que le travail d'organisation fût concentré dans les mains d'un seul pour qu'il y ait unité ; mais tu ne l'es pas aux yeux de Dieu. Tu as été choisi, voilà pourquoi tu es seul ; mais tu n'es pas, comme tu le sais du reste, le seul être capable de remplir cette mission ; si elle était interrompue par une cause quelconque, Dieu ne manquerait pas de sujets pour te remplacer. Ainsi, quoi qu'il arrive, le Spiritisme ne peut péricliter.

Jusqu'à ce que le travail d'élaboration soit achevé, il est donc nécessaire que tu sois seul en évidence, parce qu'il fallait un drapeau autour duquel on pût se rallier ; il fallait qu'on te considérât comme indispensable, pour que l'oeuvre sortie de tes mains ait plus d'autorité dans le présent et dans l'avenir ; il fallait même que l'on conçut des craintes pour les suites de ton départ.

Si celui qui doit te remplacer était désigné d'avance, l'oeuvre non achevée pourrait être entravée ; il se formerait contre lui des oppositions suscitées par la jalousie ; on le discuterait avant qu'il n'ait fait ses preuves ; les ennemis de la doctrine chercheraient à lui barrer le chemin, et il en résulterait des schismes et des divisions. Il se révélera donc quand le moment sera venu.

Sa tâche sera rendue plus facile, parce que, comme tu le dis, la route sera toute tracée ; s'il s'en écartait, il se perdrait lui-même, comme se sont déjà perdus ceux qui ont voulu se mettre à la traverse ; mais elle sera plus pénible dans un autre sens, car il aura des luttes plus rudes à soutenir. A toi incombe la charge de la conception, à lui celle de l'exécution ; c'est pourquoi ce devra être un homme d'énergie et d'action. Admire ici la sagesse de Dieu dans le choix de ses mandataires : tu as les qualités qu'il faut pour le travail que tu dois accomplir, mais tu n'as pas celles qui seront nécessaires à ton successeur ; à toi il faut le calme, la tranquillité de l'écrivain qui mûrit les idées dans le silence de la méditation ; à lui, il faudra la force du capitaine qui commande un navire d'après les règles tracées par la science. Déchargé du travail de la création de l'oeuvre, sous le poids duquel ton corps succombera, il sera plus libre pour appliquer toutes ses facultés au développement et à la consolidation de l'édifice.

Dem. - Pourriez-vous me dire si le choix de mon successeur est arrêté dès ce moment ?

Rép.- Il l'est sans l'être, attendu que l'homme, ayant son libre arbitre, peut reculer au dernier moment devant la tâche que lui-même a choisie. Il faut aussi qu'il fasse ses preuves de capacité, de dévouement, de désintéressement et d'abnégation. S'il n'était mû que par l'ambition et le désir de primer, il serait certainement mis de côté.

Dem. - Il a toujours été dit que plusieurs Esprits supérieurs devaient s'incarner pour aider au mouvement.

Rép. - Sans doute, plusieurs Esprits auront cette mission, mais chacun aura sa spécialité, et agira par sa position sur telle ou telle partie de la société. Tous se révéleront par leurs oeuvres, et aucun par une prétention quelconque à la suprématie.

Imitation de l'Evangile.

(Ségur, 9 août 1863, Méd. M. d'A...)

Nota. - Je n'avais communiqué à personne le sujet du livre auquel je travaillais ; j'en avais tenu le titre tellement secret, que l'éditeur, M. Didier, ne le connut que lors de l'impression. Ce titre d'abord fut, pour la première édition : Imitation de l'Evangile. Plus tard, sur les observations réitérées de M. Didier et de quelques autres personnes, il fut changé en celui de : l'Evangile selon le Spiritisme. Les réflexions contenues dans les communications suivantes ne pouvaient donc être le résultat des idées préconçues du médium.

Dem. - Que pensez-vous du nouvel ouvrage auquel je travaille en ce moment ?

Rép. - Ce livre des doctrines aura une influence considérable ; tu y abordes des questions capitales, et non seulement le monde religieux y trouvera les maximes qui lui sont nécessaires, mais la vie pratique des nations y puisera d'excellentes instructions. Tu as bien fait d'aborder les questions de haute morale pratique au point de vue des intérêts généraux, des intérêts sociaux et des intérêts religieux. Le doute doit être détruit ; la terre et ses populations civilisées sont prêtes ; il y a déjà assez longtemps que tes amis d'outre-tombe l'ont défrichée ; jette donc la semence que nous t'avons confiée, parce qu'il est temps que la terre gravite dans l'ordre rayonnant des sphères, et qu'elle sorte enfin de la pénombre et des brouillards intellectuels. Achève ton oeuvre, et compte sur la protection de ton guide, notre guide à tous, et sur le concours de tes plus fidèles Esprits au nombre desquels veuille bien toujours me compter.

Dem. - Qu'en dira le clergé ?

Rép. - Le clergé criera à l'hérésie, parce qu'il verra que tu y attaques carrément les peines éternelles et d'autres points sur lesquels il appuie son influence et son crédit. Il criera d'autant plus qu'il se sentira bien autrement blessé que par la publication du Livre des Esprits, dont, à la rigueur, il pouvait accepter les principales données ; mais à présent tu vas entrer dans une nouvelle voie où il ne pourra pas te suivre. L'anathème secret deviendra officiel et les Spirites seront rejetés après les Juifs et les Païens par l'Eglise romaine. Par contre, les Spirites verront leur nombre s'augmenter en raison de cette sorte de persécution, surtout en voyant les prêtres accuser d'oeuvre absolument démoniaque une doctrine dont la moralité éclatera, comme un rayon de soleil, par la publication même de ton nouveau livre, et de ceux qui suivront.

Voilà que l'heure approche où il te faudra ouvertement déclarer le Spiritisme pour ce qu'il est, et montrer à tous où se trouve la véritable doctrine enseignée par le Christ ; l'heure approche où, à la face du ciel et de la terre, tu devras proclamer le Spiritisme comme la seule tradition réellement chrétienne, la seule institution véritablement divine et humaine. En te choisissant, les Esprits savaient la solidité de tes convictions, et que ta foi, comme un mur d'airain, résisterait à toutes les attaques.

Néanmoins, ami, si ton courage n'a pas encore failli à la tâche si lourde que tu as acceptée, sache bien que tu as mangé ton pain blanc le premier, et que voilà l'heure des difficultés venues. Oui, cher Maître, la grande bataille s'apprête ; le fanatisme et l'intolérance soulevés par le succès de ta propagande vont tirer sur toi et les tiens avec des armes empoisonnées. Prépare-toi à la lutte. Mais j'ai foi en toi, comme tu as foi en nous, et parce que ta foi est de celles qui transportent les montagnes et font marcher sur les eaux. Courage donc, et que ton oeuvre s'accomplisse. Compte sur nous, et compte surtout sur la grande âme de notre Maître à tous, qui te protège d'une façon toute particulière.

Paris, 14 septembre 1863.

Nota. - J'avais sollicité pour moi une communication sur un sujet quelconque, et demandé qu'elle me fût envoyée à ma retraite de Sainte-Adresse.

«Je veux bien te parler de Paris, quoique l'utilité ne m'en paraisse pas démontrée, attendu que mes voix intimes se font entendre autour de toi et que ton cerveau perçoit nos inspirations avec une facilité dont tu ne te doutes pas toi-même. Notre action, celle surtout de l'Esprit de Vérité, est constante autour de toi, et telle que tu ne peux la récuser. C'est pourquoi je n'entrerai pas dans d'oiseux détails au sujet du plan de ton oeuvre que tu as, suivant mes conseils occultes, si largement et si complètement modifié. Tu comprends maintenant pourquoi nous avions besoin de t'avoir sous la main, dégagé de toute autre préoccupation que celle de la doctrine. Une oeuvre comme celle que nous élaborons de concert a besoin de recueillement et de l'isolement sacré. Je suis avec un vif intérêt les progrès de ton travail qui sont un pas considérable en avant, et ouvrent enfin au Spiritisme la large voie des applications utiles au bien de la société. Avec cet ouvrage, l'édifice commence à se dégager de ses échafaudages, et l'on peut déjà entrevoir sa coupole se dessiner à l'horizon. Continue donc sans impatience, comme sans lassitude ; le monument sera achevé à l'heure dite.

Nous t'avons déjà entretenu des questions incidentes du moment, c'est-à-dire des questions religieuses. L'Esprit de Vérité t'a parlé des levées de boucliers qui ont lieu à l'heure qu'il est ; ces hostilités prévues sont nécessaires pour tenir en éveil l'attention des hommes si faciles à se laisser détourner d'un sujet sérieux. Aux soldats qui combattent pour la cause, vont se joindre incessamment de nouveaux combattants dont la parole et les écrits feront sensation et porteront le trouble et la confusion dans les rangs des adversaires.

Adieu, cher compagnon d'autrefois, disciple fidèle de la vérité, qui continue à travers la vie l'oeuvre à laquelle nous avons juré jadis, entre les mains du grand Esprit qui t'aime et que je vénère, de consacrer nos forces et nos existences jusqu'à ce qu'elle soit achevée. Salut à toi.»

Remarque. - Le plan de l'ouvrage avait, en effet, été complètement modifié, ce qu'assurément le médium ne pouvait savoir, puisqu'il était à Paris et moi à Sainte-Adresse ; il ne pouvait savoir non plus que l'Esprit de Vérité m'avait parlé au sujet de la levée des boucliers de l'Evêque d'Alger et autres. Toutes ces circonstances étaient bien faites pour me confirmer la part que les Esprits prenaient à mes travaux.

L'Eglise.

Paris, 30 septembre 1863
(Méd. M. d'A...)

Te voilà de retour, mon ami, et tu n'as pas perdu ton temps ; à l'oeuvre encore, car il ne faut pas laisser chaumer ton enclume. Forge, forge des armes bien trempées ; repose-toi de tes travaux par des travaux plus difficiles ; tous les éléments te seront mis entre les mains au fur et à mesure du besoin.

L'heure est venue où l'Eglise doit rendre compte du dépôt qui lui a été confié, la manière dont elle a pratiqué les enseignements du Christ, de l'usage qu'elle a fait de son autorité, enfin de l'état d'incrédulité où elle a conduit les esprits ; l'heure est venue où elle doit rendre à César ce qui est à César et encourir la responsabilité de tous ses actes. Dieu l'a jugée, et il l'a reconnue impropre désormais à la mission de progrès qui incombe à toute autorité spirituelle. Ce ne serait que par une transformation absolue qu'elle pourrait vivre ; mais à cette transformation se résignera-t-elle ? Non, car alors elle ne serait plus l'Eglise ; pour s'assimiler les vérités et les découvertes de la science, il faudrait renoncer aux dogmes qui lui servent de fondements ; pour revenir à la pratique rigoureuse des préceptes de l'Evangile, il lui faudrait renoncer au pouvoir, à la domination, échanger le faste et la pourpre contre la simplicité et l'humilité apostoliques. Elle est entre deux alternatives ; si elle se transforme, elle se suicide ; si elle reste stationnaire, elle succombe sous les étreintes du progrès.

Déjà, du reste, Rome est dans l'anxiété, et l'on sait, dans la Ville Eternelle, par des révélations irrécusables, que la doctrine spirite est appelée à causer une vive douleur à la papauté, parce que le Schisme se prépare rigoureusement en Italie. Il ne faut donc pas s'étonner de l'acharnement que le clergé met à combattre le Spiritisme, il y est poussé par l'instinct de conservation ; mais déjà il a vu ses armes s'émousser contre cette puissance naissante ; ses arguments n'ont pu tenir l'inflexible logique ; il ne lui reste que le démon ; c'est un pauvre auxiliaire au XIX° siècle.

Du reste, la lutte est ouverte entre l'Eglise et le progrès, plus qu'entre elle et le Spiritisme ; c'est le progrès général des idées qui la bat en brèche de tous les côtés, et sous lequel elle succombera, comme tout ce qui ne se met pas à son niveau. La marche rapide des choses doit vous faire pressentir que le dénouement ne se fera pas longtemps attendre ; l'Eglise elle-même semble poussée fatalement à le précipiter. (Esprit d'E.)

Paris, 14 octobre 1863. - Méd. M. d'A...
(Sur l'avenir de différentes publications.)

Vie de Jésus par Renan.

Dem. (à Eraste). Quel effet produira la vie de Jésus, par M. Renan ?

Rép.- L'effet sera immense ; la rumeur sera grande dans le clergé, parce que ce livre renverse les fondements mêmes de l'édifice sous lequel il s'abrite depuis dix-huit siècles. Ce livre n'est pas irréprochable, loin de là, parce qu'il est le reflet d'une opinion exclusive qui circonscrit sa vue dans le cercle étroit de la vie matérielle. M. Renan n'est cependant pas matérialiste, mais il est de cette école qui, si elle ne nie pas le principe spirituel, ne lui attribue aucun rôle effectif direct dans la conduite des choses du monde. Il est de ces aveugles intelligents, qui expliquent à leur manière ce qu'ils ne peuvent voir ; qui, ne comprenant pas le mécanisme de la vue à distance, se figurent qu'on ne peut connaître une chose qu'en la touchant. Aussi a-t-il réduit le Christ aux proportions de l'homme le plus vulgaire, lui déniant toutes les facultés qui sont les attributs de l'esprit libre et indépendant de la matière.

Cependant, à côté d'erreurs capitales, surtout en ce qui touche à la spiritualité, ce livre contient des observations fort justes qui avaient jusqu'ici échappé aux commentateurs, et qui lui donnent une haute portée à un certain point de vue. Son auteur appartient à la légion d'esprits incarnés qu'on peut appeler les démolisseurs du vieux monde ; ils ont pour mission de niveler le terrain sur lequel s'édifiera un monde nouveau plus rationnel. Dieu a voulu qu'un écrivain, justement accrédité près des hommes au point de vue du talent, vînt jeter la lumière sur certaines questions obscures et entachées de préjugés séculaires, afin de prédisposer les esprits aux croyances nouvelles. Sans s'en douter, M. Renan a aplani la voie pour le Spiritisme.

30 janvier 1866
(Paris. Groupe de M. Golovine, Méd. M. L...)

Précurseurs de l'Orage.

Permettez à un ancien dignitaire de Tauride de bénir vos deux enfants ; puissent-ils, sous l'égide de leurs deux mères, devenir intelligents en tout et être pour vous la source de satisfactions réelles ! Je leur souhaite d'être spirites convaincus, c'est-à-dire d'être tellement saturés de l'idée d'autres vies, des principes de fraternité, de charité et de solidarité, que les événements qui se précipiteront à leur âge de conscience et de raison ne puissent les étonner ni affaiblir leur confiance dans la justice divine au milieu des épreuves que doit subir l'humanité.

Vous vous étonnez parfois de l'âpreté avec laquelle vos adversaires vous attaquent ; selon eux vous êtes des fous, des illuminés ; vous prenez la fiction pour la vérité ; vous ressuscitez le diable et toutes les erreurs du moyen âge.

A toutes ces attaques, vous savez que répondre serait commencer une polémique sans issue. Votre silence prouve votre force, et en ne leur donnant pas occasion de riposter, ils finiront par se taire.

Ce qui est plus à craindre, c'est l'imprévu. Qu'un changement de gouvernement ait lieu dans le sens ultramontain le plus intolérant, et, certes, vous seriez traqués, conspués, combattus, condamnés, expatriés. Mais les événements, plus forts que les sourdes manoeuvres, préparent à l'horizon politique un orage bien noir, et, quand la tempête éclatera, tâchez d'être bien abrités, bien forts, bien désintéressés. Il y aura des ruines, des invasions, des délimitations de frontières, et de ce naufrage immense qui nous viendra de l'Europe, de l'Asie, de l'Amérique, ce qui surnagera, sachez-le, ce sont les âmes bien trempées, les esprits éclairés, tout ce qui est justice, loyauté, honneur, solidarité.

Vos sociétés, telles qu'elles sont organisées, sont-elles parfaites ? Mais vous avez vos parias par millions ; la misère remplit sans cesse vos prisons, vos lupanars et fournit l'échafaud. L'Allemagne voit, comme de tout temps, émigrer ses habitants par centaines de mille, ce qui n'est pas à l'honneur des gouvernements ; le Pape, prince temporel, répand l'erreur dans le monde au lieu de l'Esprit de Vérité dont il est l'artificiel emblème. Partout l'envie ; je vois des intérêts qui se combattent et non des efforts pour relever l'ignorant. Les gouvernements, minés par des principes égoïstes, pensent à s'étayer contre le flot qui monte, et ce flot, c'est la conscience humaine qui s'insurge enfin, après des siècles d'attente, contre la minorité qui exploite les forces vives des nationalités.

Nationalités ! Puisse la Russie ne pas avoir trouvé un écueil terrible, un Cap des Tempêtes, dans ce mot ! Bien-aimé pays, puissent tes hommes d'Etat ne pas oublier que la grandeur d'un pays ne consiste pas à avoir des frontières indéfinies, beaucoup de provinces et pas de villages, quelques grandes villes dans un océan d'ignorance, des plaines immenses, désertes, stériles, inclémentes comme l'envie, comme tout ce qui est faux et frappe faux. Le soleil aura beau ne pas se coucher sur vos conquêtes, il n'y aura pas moins des déshérités, des grincements de dents, tout un enfer menaçant et béant comme l'immensité.

Et pourtant les nations, comme les gouvernements, ont leur libre arbitre ; comme les simples individualités, elles savent se diriger par l'amour l'union, la concorde ; elles fourniront à l'orage annoncé des éléments électriques propres à mieux les détruire et les désagréger.

INNOCENT.
En son vivant archevêque de Tauride.

30 janvier 1866
(Lyon. Groupe Villon. Méd. M. G.)

La nouvelle génération.

La terre tressaille d'allégresse ; le jour du Seigneur approche ; tout ce qui est tête parmi nous brigue à l'envi d'entrer dans la lice. Déjà l'Esprit de quelques vaillantes âmes incarnées secoue leur corps à le briser ; la chair interdite ne sait que penser, un feu inconnu la dévore ; elles seront délivrées, car les temps sont échus : une éternité est sur le point d'expirer, une éternité glorieuse va bientôt poindre, et Dieu compte ses enfants.

Le règne de l'or fera la place à un règne plus pur ; la pensée sera bientôt souveraine et les Esprits d'élite qui sont venus depuis des époques reculées illuminer leur siècle et servir de jalons aux siècles futurs, vont prendre chair parmi vous. Que dis-je ? Beaucoup sont incarnés. Leur parole savante va porter une flamme destructive qui fera des ravages irréparables au sein des vieux abus. Que de préjugés antiques vont crouler d'une seule pièce, lorsque l'Esprit, comme une hache à double tranchant, viendra les saper jusque dans leurs fondements.

Oui, les pères du progrès de l'esprit humain ont quitté, les uns les demeures radieuses, d'autres de grands travaux où la félicité se joint au plaisir de s'instruire, pour venir reprendre le bâton de pèlerin qu'ils n'avaient que déposé au seuil du temple de la science, et des quatre coins du globe, bientôt les savants officiels vont entendre avec effroi des jeunes gens imberbes, qui viendront, dans un langage profond, rétorquer leurs arguments, qu'ils croyaient irréfutables. Le sourire railleur ne pourra plus être un bouclier sûr, et, sous peine de déchéance, il faudra répondre. C'est alors que le cercle vicieux dans lequel s'enferment les maîtres de la vaine philosophie sera montré à découvert, car les nouveaux champions portent avec eux, non seulement un flambeau qui est l'intelligence débarrassée des voiles grossiers, mais encore beaucoup d'entre eux jouiront de cet état particulier, privilège des grandes âmes, comme Jésus, qui donne le pouvoir de guérir et de faire les merveilles réputées miracles. Devant des faits matériels où l'esprit se montre si supérieur à la matière, comment nier les esprits ? Le matérialiste sera refoulé dans ses discours, et par la parole plus éloquente que la sienne, et par le fait patent, positif et avéré pour tous, car, grands et petits, nouveaux saints Thomas, pourront toucher du doigt.

Oui, le vieux monde vermoulu craque de partout ; le vieux monde finit, et avec lui tous ces vieux dogmes qui ne reluisent encore que par la dorure dont on les couvre. Esprits vaillants, à vous la tâche de gratter cet or faux ; arrière, vous qui voulez en vain étayer cette idole ; frappée de partout, elle va crouler et vous entraînera dans sa chute.

Arrière, vous tous négateurs du progrès ; arrière, avec vos croyances d'un autre âge. Pourquoi niez-vous le progrès et voulez-vous l'enrayer ? C'est que, voulant primer, primer encore et toujours, vous avez condensé votre pensée en articles de foi, en disant à l'humanité : «Tu seras toujours enfant, et nous qui avons l'illumination d'en haut, nous sommes destinés à te conduire.»

Mais vous avez vu les lisières de l'enfant vous rester dans les mains ; et l'enfant saute devant vous, et vous niez encore qu'il puisse marcher seul ! Sera-ce en le frappant avec les lisières qui devaient le soutenir que vous lui prouverez l'autorité de vos arguments ? Non ; et vous le sentez bien ; mais il est si doux, lorsqu'on se dit infaillible, de croire que les autres ont encore foi dans cette infaillibilité à laquelle vous ne croyez plus vous-mêmes.

Ah ! quels gémissements ne se pousse-t-il pas dans le sanctuaire ! C'est là qu'en prêtant une oreille attentive on entend des chuchotements douloureux. Que dites-vous donc, pauvres obstinés ? Que la main de Dieu s'appesantit sur son Eglise ? Que partout la presse libre vous attaque et bat en brèche vos arguments ? Où sera le Chrysostome nouveau dont la parole puissante réduira à néant ce déluge de raisonneurs ? En vain l'attendez-vous ; vos plumes les plus vigoureuses et les plus accréditées ne peuvent plus rien ; elles s'obstinent à se cramponner au passé qui s'en va, lorsque la génération nouvelle, dans son essor irrésistible qui la pousse en avant, s'écrie : Non, plus de passé ; à nous l'avenir ; une nouvelle aurore se lève, et c'est là où tendent nos aspirations !

En avant ! dit-elle ; élargissez la route, nos frères nous suivent ; suivez le flot qui nous entraîne ; nous avons besoin du mouvement qui est la vie, tandis que vous nous présentez l'immobilité qui est la mort.

Ouvrez vos tombeaux, vos catacombes ; rassasiez votre vue avec les vieux débris d'un passé qui n'est plus. Vos saints martyrs ne sont point morts pour immobiliser le présent. Ils ont entrevu notre époque, et se sont élancés dans la mort comme sur la route qui devait y conduire. A chaque époque son génie ; nous voulons nous élancer dans la vie, car les siècles futurs qui nous apparaissent ont horreur de la mort.

Voilà, mes amis, ce que les vaillants Esprits qui s'incarnent présentement vont faire comprendre. Ce siècle ne s'achèvera pas sans que bien des débris ne jonchent le sol. La guerre meurtrière et fratricide s'effacera bientôt devant la discussion ; l'esprit remplacera la force brutale. Et après que toutes ces âmes généreuses auront combattu, elles rentreront dans notre monde spirituel pour recevoir la couronne du vainqueur.

Voilà le but, mes amis ; les champions sont trop aguerris pour que le succès soit douteux. Dieu a choisi l'élite de ses combattants, et la victoire est acquise à l'humanité.

Réjouissez-vous donc, vous tous qui aspirez au bonheur et qui voulez que vos frères y participent comme vous, le jour est venu ! La terre bondit de joie, car elle va voir commencer le règne de paix promis par le Christ, le divin messie, règne dont il est venu poser les fondements.

UN ESPRIT.

23 avril 1866
(Paris. Communication particulière. Méd. M. D...)

Instruction pour la santé de M. Allan Kardec.

La santé de M. Allan Kardec s'affaiblissant de jour en jour par suite de travaux excessifs auxquels il ne peut suffire, je me vois dans la nécessité de lui répéter de nouveau ce que je lui ai déjà dit maintes fois : Vous avez besoin de repos ; les forces humaines ont des bornes que votre désir de voir progresser l'enseignement vous porte souvent à enfreindre ; vous avez tort, car, en agissant ainsi, vous ne hâterez pas la marche de la doctrine, mais vous ruinerez votre santé et vous vous mettrez dans l'impossibilité matérielle d'achever la tâche que vous êtes venu remplir ici-bas. Votre maladie actuelle n'est que le résultat d'une dépense incessante de forces vitales qui ne laisse pas à la réparation le temps de se faire, et d'un échauffement du sang produit par le manque absolu de repos. Nous vous soutenons, sans doute, mais à la condition que vous ne déferez pas ce que nous faisons. Que sert-il de courir ? Ne vous a-t-on pas dit maintes fois que chaque chose viendrait en son temps et que les Esprits préposés au mouvement des idées sauraient faire surgir des circonstances favorables quand le moment d'agir serait venu ?

Lorsque chaque spirite recueille ses forces pour la lutte, pensez-vous qu'il soit de votre devoir d'épuiser les vôtres ? Non ; en tout vous devez donner l'exemple, et votre place sera sur la brèche au moment du danger. Qu'y feriez-vous si votre corps affaibli ne permettait plus à votre esprit de se servir des armes que l'expérience et la révélation vous ont mises entre les mains ? - Croyez-moi, remettez à plus tard les grands ouvrages destinés à compléter l'oeuvre ébauchée dans vos premières publications ; vos travaux courants et quelques petites brochures urgentes ont de quoi absorber votre temps et doivent être les seuls objets de vos préoccupations actuelles.

Je ne vous parle pas seulement en mon propre nom, je suis ici le délégué de tous ces Esprits qui ont contribué si puissamment à la propagation de l'enseignement par leurs sages instructions. Ils vous disent par mon intermédiaire que ce retard que vous pensez nuisible à l'avenir de la doctrine est une mesure nécessaire à plus d'un point de vue, soit parce que certaines questions ne sont pas encore complètement élucidées, soit pour préparer les Esprits à se les mieux assimiler. Il faut que d'autres aient déblayé le terrain, que certaines théories aient prouvé leur insuffisance et fait un plus grand vide. En un mot, le moment n'est pas opportun ; ménagez-vous donc, car lorsqu'il en sera temps toute votre vigueur de corps et d'esprit vous sera nécessaire. Le Spiritisme a été jusqu'ici l'objet de bien des diatribes, il a soulevé bien des tempêtes ? croyez-vous que tout mouvement soit apaisé, que toutes les haines soient calmées et réduites à l'impuissance ? Détrompez-vous, le creuset épurateur n'a pas encore rejeté toutes les impuretés ; l'avenir vous garde d'autres épreuves et les dernières crises ne seront pas les moins pénibles à supporter.

Je sais que votre position particulière vous suscite une foule de travaux secondaires qui emploient la meilleure partie de votre temps. Les demandes de toutes sortes vous accablent, et vous vous faites un devoir d'y satisfaire autant que possible. Je ferai ici ce que vous n'oseriez sans doute faire vous-même, et, m'adressant à la généralité des Spirites, je les prierai dans l'intérêt du Spiritisme lui-même, de vous épargner toute surcharge de travail de nature à absorber des instants que vous devez consacrer presque exclusivement à l'achèvement de l'oeuvre. Si votre correspondance en souffre un peu, l'enseignement y gagnera.

Il est quelquefois nécessaire de sacrifier les satisfactions particulières à l'intérêt général. C'est une mesure urgente que tous les adeptes sincères sauront comprendre et approuver.

L'immense correspondance que vous recevez est pour vous une source précieuse de documents et de renseignements ; elle vous éclaire sur la marche vraie et les progrès réels de la doctrine ; c'est un thermomètre impartial ; vous y puisez, en outre, des satisfactions morales qui ont plus d'une fois soutenu votre courage en voyant l'adhésion que rencontrent vos idées sur tous les points du globe ; sous ce rapport, la surabondance est un bien et non un inconvénient, mais à la condition de seconder vos travaux et non de les entraver en vous créant un surcroît d'occupations.

Dr. DEMEURE.

Bon monsieur Demeure, je vous remercie de vos sages conseils. Grâce à la résolution que j'ai prise de me faire suppléer, sauf les cas exceptionnels, la correspondance courante souffre peu maintenant, et ne souffrira plus à l'avenir ; mais que faire de cet arriéré de plus de cinq cents lettres que, malgré toute ma bonne volonté, je ne puis parvenir à mettre à jour ?

Rép. - Il faut, comme on dit en terme de commerce, les passer en bloc par compte de profits et pertes. En annonçant cette mesure dans la Revue, vos correspondants sauront à quoi s'en tenir ; ils en comprendront la nécessité, et ils la trouveront surtout justifiée par les conseils qui précèdent. Je le répète, il serait impossible que les choses allassent longtemps comme cela ; tout en souffrirait, et votre santé, et la doctrine. Il faut, au besoin, savoir faire les sacrifices nécessaires. Tranquille désormais sur ce point, vous pourrez vaquer plus librement à vos travaux obligatoires. Voilà ce que vous conseille celui qui sera toujours votre ami dévoué.

DEMEURE.

Déférant à ce sage conseil, nous avons prié ceux de nos correspondants avec lesquels nous étions depuis si longtemps en retard d'agréer nos excuses et nos regrets de n'avoir pu répondre en détail, et comme nous l'aurions désiré, à leurs bienveillantes lettres et de bien vouloir accepter collectivement l'expression de nos sentiments fraternels.

25 avril 1866
(Paris. Résumé des communications données par MM. M.. et T... en somnambulisme.)

Régénération de l'humanité.

Les événements se précipitent avec rapidité ; aussi ne vous disons-nous plus, comme autrefois : «Les temps sont proches» ; nous vous disons maintenant : «Les temps sont arrivés».

Par ces mots n'entendez pas un nouveau déluge, ni un cataclysme, ni un bouleversement général. Des convulsions partielles du globe ont eu lieu à toutes les époques et se produisent encore, parce qu'elles tiennent à sa constitution, mais ce ne sont pas là les signes des temps.

Et cependant tout ce qui est prédit dans l'Evangile doit s'accomplir et s'accomplit en ce moment, ainsi que vous le connaîtrez plus tard ; mais ne prenez les signes annoncés que comme des figures dont il faut saisir l'esprit et non la lettre. Toutes les Ecritures renferment de grandes vérités sous le voile de l'allégorie, et c'est parce que les commentateurs se sont attachés à la lettre qu'ils se sont fourvoyés. Il leur a manqué la clef pour en comprendre le sens véritable. Cette clef est dans les découvertes de la science et dans les lois du monde invisible que vient nous révéler le Spiritisme. Désormais, à l'aide de ces nouvelles connaissances, ce qui était obscur devient clair et intelligible.

Tout suit l'ordre naturel des choses, et les lois immuables de Dieu ne seront point interverties. Vous ne verrez donc ni miracles, ni prodiges, ni rien de surnaturel dans le sens vulgaire attaché à ces mots.

Ne regardez pas au ciel pour y chercher des signes précurseurs, car vous n'en verrez point, et ceux qui vous en annonceront vous abuseront ; mais regardez autour de vous, parmi les hommes, c'est là que vous les trouverez.

Ne sentez-vous pas comme un vent qui souffle sur la terre et agite tous les Esprits ? Le monde est dans l'attente et comme saisi d'un vague pressentiment à l'approche de l'orage.

Ne croyez cependant pas à la fin du monde matériel ; la terre a progressé depuis sa transformation ; elle doit progresser encore, et non point être détruite. Mais l'humanité est arrivée à l'une de ses périodes de transformation, et la terre va s'élever dans la hiérarchie des mondes.

Ce n'est donc pas la fin du monde matériel qui se prépare, mais la fin du monde moral : c'est le vieux monde, le monde des préjugés, de l'égoïsme, de l'orgueil et du fanatisme qui s'écroule ; chaque jour en emporte quelques débris. Tout finira par lui avec la génération qui s'en va, et la génération nouvelle élèvera le nouvel édifice que les générations suivantes consolideront et compléteront.

De monde d'expiation, la terre est appelée à devenir un jour un monde heureux, et son habitation sera une récompense au lieu d'être une punition. Le règne du bien doit y succéder au règne du mal.

Pour que les hommes soient heureux sur la terre, il faut qu'elle ne soit peuplée que de bons Esprits, incarnés et désincarnés qui ne voudront que le bien. Ce temps étant arrivé, une grande émigration s'accomplit en ce moment parmi ceux qui l'habitent ; ceux qui font le mal pour le mal et que le sentiment du bien ne touche pas, n'étant plus dignes de la terre transformée, en seront exclus, parce qu'ils y porteraient de nouveau le trouble et la confusion et seraient un obstacle au progrès. Ils iront expier leur endurcissement dans des mondes inférieurs, où ils porteront leurs connaissances acquises, et qu'ils auront pour mission de faire avancer. Ils seront remplacés sur la terre par des Esprits meilleurs, qui feront régner entre eux la justice, la paix, la fraternité.

La terre, nous l'avons dit, ne doit point être transformée par un cataclysme qui anéantirait subitement une génération. La génération actuelle disparaîtra graduellement, et la nouvelle lui succédera de même sans que rien soit changé à l'ordre naturel des choses. Tout se passera donc extérieurement comme d'habitude, avec cette seule différence, mais cette différence est capitale, qu'une partie des Esprits qui s'y incarnaient ne s'y incarneront plus. Dans un enfant qui naîtra, au lieu d'un Esprit arriéré et porté au mal qui s'y serait incarné, ce sera un Esprit plus avancé et porté au bien. Il s'agit donc bien moins d'une nouvelle génération corporelle que d'une nouvelle génération d'Esprits. Ainsi, ceux qui s'attendaient à voir la transformation s'opérer par des effets surnaturels et merveilleux seront déçus.

L'époque actuelle est celle de la transition ; les éléments des deux générations se confondent. Placés au point intermédiaire, vous assistez au départ de l'une et à l'arrivée de l'autre, et chacun se signale déjà dans le monde par les caractères qui lui sont propres.

Les deux générations qui succèdent l'une à l'autre ont des idées et des vues tout opposées. A la nature des dispositions morales, mais surtout des dispositions intuitives et innées, il est facile de distinguer à laquelle des deux appartient chaque individu.

La nouvelle génération devant fonder l'ère du progrès moral se distingue par une intelligence et une raison généralement précoces, jointes au sentiment inné du bien et des croyances spiritualistes, ce qui est le signe indubitable d'un certain degré d'avancement antérieur. Elle ne sera point composée exclusivement d'Esprits éminemment supérieurs, mais de ceux qui, ayant déjà progressé, sont prédisposés à s'assimiler toutes les idées progressives et aptes à seconder le mouvement régénérateur.

Ce qui distingue, au contraire, les Esprits arriérés, c'est d'abord la révolte contre Dieu par la négation de la Providence et de toute puissance supérieure à l'humanité ; puis la propension instinctive aux passions dégradantes, aux sentiments anti-fraternels de l'orgueil, de la haine, de la jalousie, de la cupidité, enfin la prédominance de l'attachement pour tout ce qui est matériel.

Ce sont ces vices dont la terre doit être purgée par l'éloignement de ceux qui refusent de s'amender, parce qu'ils sont incompatibles avec le règne de la fraternité et que les hommes de bien souffriront toujours de leur contact. La terre en sera délivrée et les hommes marcheront sans entraves vers l'avenir meilleur qui leur est réservé ici-bas, pour prix de leurs efforts et de leur persévérance, en attendant qu'une épuration encore plus complète leur ouvre l'entrée des mondes supérieurs.

Par cette émigration des Esprits, il ne faut pas entendre que tous les Esprits retardataires seront expulsés de la terre et relégués dans les mondes inférieurs. Beaucoup ont cédé à l'entraînement des circonstances et de l'exemple ; l'écorce était chez eux plus mauvaise que le fond. Une fois soustraits à l'influence de la matière et des préjugés du monde corporel, la plupart verront les choses d'une manière toute différente que de leur vivant, ainsi que vous en avez de nombreux exemples. En cela, ils sont aidés par les Esprits bienveillants qui s'intéressent à eux et qui s'empressent de les éclairer et de leur montrer la fausse route qu'ils ont suivie. Par vos prières et vos exhortations, vous pouvez vous-mêmes contribuer à leur amélioration, parce qu'il y a solidarité perpétuelle entre les morts et les vivants.

Ceux-là pourront donc revenir, et ils en seront heureux, car ce sera une récompense. Qu'importe ce qu'ils auront été et ce qu'ils auront fait, s'ils sont animés de meilleurs sentiments ! Loin d'être hostiles à la société et au progrès, ce seront des auxiliaires utiles, car ils appartiendront à la nouvelle génération.

Il n'y aura donc d'exclusion définitive que pour les Esprits foncièrement rebelles, ceux que l'orgueil et l'égoïsme, plus que l'ignorance, rendent sourds à la voix du bien et de la raison. Mais ceux-là mêmes ne sont pas voués à une infériorité perpétuelle, et un jour viendra où ils répudieront leur passé et ouvriront les yeux à la lumière.

Priez donc pour ces endurcis, afin qu'ils s'amendent pendant qu'il en est temps encore, car le jour de l'expiation approche.

Malheureusement la plupart, méconnaissant la voix de Dieu, persisteront dans leur aveuglement, et leur résistance marquera la fin de leur règne par des luttes terribles. Dans leur égarement, ils courront eux-mêmes à leur perte ; ils pousseront à la destruction qui engendrera une multitude de fléaux et de calamités, de sorte que, sans le vouloir, ils hâteront l'avènement de l'ère de la rénovation.

Et comme si la destruction ne marchait pas assez vite, on verra les suicides se multiplier dans une proportion inouïe, jusque parmi les enfants. La folie n'aura jamais frappé un plus grand nombre d'hommes qui seront, avant la mort, rayés du nombre des vivants. Ce sont là les véritables signes du temps. Et tout cela s'accomplira par l'enchaînement des circonstances, ainsi que nous l'avons dit, sans qu'il soit en rien dérogé aux lois de la nature.

Cependant, à travers le nuage sombre qui vous enveloppe, et au sein duquel gronde la tempête, voyez déjà poindre les premiers rayons de l'ère nouvelle ! La fraternité pose ses fondements sur tous les points du globe et les peuples se tendent la main ; la barbarie se familiarise au contact de la civilisation ; les préjugés de races et de sectes, qui ont fait verser des flots de sang, s'éteignent ; le fanatisme, l'intolérance perdent du terrain, tandis que la liberté de conscience s'introduit dans les moeurs et devient un droit. Partout les idées fermentent ; on voit le mal et l'on essaye des remèdes, mais beaucoup marchent sans boussole et s'égarent dans les utopies. Le monde est dans un immense travail d'enfantement qui aura duré un siècle ; dans ce travail, encore confus, on voit cependant dominer une tendance vers un but : celui de l'unité et de l'uniformité qui prédisposent à la fraternisation.

Ce sont encore là des signes du temps ; mais tandis que les autres sont ceux de l'agonie du passé, ces derniers sont les premiers vagissements de l'enfant qui naît, les précurseurs de l'aurore que verra se lever le siècle prochain, car alors la nouvelle génération sera dans toute sa force. Autant la physionomie du XIX° siècle diffère de celle du XVIII° à certains points de vue, autant celle du XX° siècle sera différente du XIX° à d'autres points de vue.

Un des caractères distinctifs de la nouvelle génération sera la foi innée ; non la foi exclusive et aveugle qui divise les hommes, mais la foi raisonnée qui éclaire et fortifie, qui les unit et les confond dans un commun sentiment d'amour de Dieu et du prochain. Avec la génération qui s'éteint disparaîtront les derniers vestiges de l'incrédulité et du fanatisme, également contraires au progrès moral et social.

Le Spiritisme est la voie qui conduit à la rénovation, parce qu'il ruine les deux plus grands obstacles qui s'y opposent : l'incrédulité et le fanatisme. Il donne une foi solide et éclairée ; il développe tous les sentiments et toutes les idées qui correspondent aux vues de la nouvelle génération ; c'est pourquoi il est comme inné et à l'état d'intuition dans le coeur de ses représentants. L'ère nouvelle le verra donc grandir et prospérer par la force même des choses. Il deviendra la base de toutes les croyances, le point d'appui de toutes les institutions.

Mais d'ici là, que de luttes il aura encore à soutenir contre ses deux plus grands ennemis : l'incrédulité et le fanatisme qui, chose bizarre, se donnent la main pour l'abattre ! Ils pressentent son avenir et leur ruine : c'est pourquoi ils le redoutent, car ils le voient déjà planter, sur les ruines du vieux monde égoïste, le drapeau qui doit rallier tous les peuples. Dans la divine maxime : Hors la charité point de salut, ils lisent leur propre condamnation, car c'est le symbole de la nouvelle alliance fraternelle proclamée par le Christ. Elle se montre à eux comme les mots fatals du festin de Balthazar. Et pourtant, cette maxime, ils devraient la bénir, car elle les garantit de toutes représailles de la part de ceux qu'ils persécutent. Mais non, une force aveugle les pousse à rejeter ce qui seul pourrait les sauver !

Que pourront-ils contre l'ascendant de l'opinion qui les répudie ? Le Spiritisme sortira triomphant de la lutte, n'en doutez pas, car il est dans les lois de la nature, et par cela même impérissable. Voyez par quelle multitude de moyens l'idée se répand et pénètre partout ; croyez bien que ces moyens ne sont pas fortuits, mais providentiels ; ce qui, au premier abord, semblerait devoir lui nuire, est précisément ce qui aide à sa propagation.

Bientôt il verra surgir des champions hautement avoués parmi les plus considérables et les plus accrédités, qui l'appuieront de l'autorité de leur nom et de leur exemple, et imposeront silence à ses détracteurs, car on n'osera pas les traiter de fous. Ces hommes l'étudient dans le silence, et se montreront quand le moment propice sera venu. Jusque-là, il est utile qu'ils se tiennent à l'écart.

Bientôt aussi vous verrez les arts y puiser comme à une mine féconde, et traduire ses pensées et les horizons qu'il découvre par la peinture, la musique, la poésie et la littérature. Il vous a été dit qu'il y aurait un jour l'art spirite, comme il y a eu l'art païen et l'art chrétien, et c'est une grande vérité, car les plus grands génies s'en inspireront. Bientôt vous en verrez les premières ébauches, et plus tard il prendra le rang qu'il doit avoir.

Spirites, l'avenir est à vous et à tous les hommes de coeur et de dévouement. Ne vous effrayez pas des obstacles, car il n'en est aucun qui puisse entraver les desseins de la Providence. Travaillez sans relâche, et remerciez Dieu de vous avoir placés à l'avant garde de la nouvelle phalange. C'est un poste d'honneur que vous avez vous-mêmes demandé, et dont il faut vous rendre digne par votre courage, votre persévérance et votre dévouement. Heureux ceux qui succomberont dans cette lutte contre la force ; mais la honte sera, dans le monde des Esprits, pour ceux qui succomberaient par faiblesse ou pusillanimité. Les luttes, d'ailleurs, sont nécessaires pour fortifier l'âme ; le contact du mal fait mieux apprécier les avantages du bien. Sans les luttes qui stimulent les facultés, l'Esprit se laisserait aller à une insouciance funeste à son avancement. Les luttes contre les éléments développent les forces physiques et l'intelligence ; les luttes contre le mal développent les forces morales.

27 avril 1866
(Paris, chez M. Leymarie, Méd. M. L...)

Marche graduelle du Spiritisme. Dissidence et entraves.

Chers condisciples, ce qui est vrai doit être ; rien ne peut s'opposer au rayonnement d'une vérité ; parfois, on peut la voiler, la torturer, et faire sur elle ce que font les tarets sur les digues hollandaises ; mais une vérité n'est pas bâtie sur pilotis : elle court l'espace, elle est dans l'air ambiant, et si l'on a pu aveugler une génération, il y a toujours des incarnations nouvelles, des recrues de l'erraticité qui viennent apporter des germes féconds, d'autres éléments, et qui savent attirer à elles toutes les grandes choses méconnues.

Ne vous pressez pas trop, amis ; beaucoup parmi vous voudraient aller à la vapeur, et dans ce temps d'électricité, courir comme elle. Oublieux des lois de la nature, vous voudriez aller plus vite que le temps. Réfléchissez pourtant combien Dieu est sage en tout. Les éléments qui constituent votre planète ont subi un long et laborieux enfantement ; avant que vous puissiez exister, il a fallu que tout se constituât selon l'aptitude de vos organes. La matière, les minéraux, fondus et refondus, les gaz, les végétaux se sont peu à peu harmonisés et condensés, afin de permettre votre éclosion sur la terre. C'est l'éternelle loi du travail qui n'a pas cessé de régir les êtres inorganisés, comme les êtres intelligents.

Le spiritisme ne peut échapper à cette loi, à la loi de l'enfantement. Implanté sur un sol ingrat, il faut qu'il ait ses mauvaises herbes, ses mauvais fruits. Mais aussi, chaque jour on défriche, on arrache, on coupe les mauvaises branches ; le terrain s'ameublit insensiblement, et lorsque le voyageur, fatigué des luttes de la vie, verra l'abondance et la paix à l'ombre d'une fraîche oasis, il viendra étancher sa soif, essuyer ses sueurs, dans ce royaume lentement et sagement préparé ; là le roi est Dieu, ce dispensateur généreux, cet égalitaire judicieux, qui sait bien que le trajet à suivre est douloureux, mais fécond ; pénible, mais nécessaire ; l'Esprit formé à l'école du travail en sort plus fort et plus apte aux grandes choses. Aux défaillants il dit : courage ; et comme espoir suprême, il laisse entrevoir, même aux plus ingrats, un point d'arrivée, point salutaire, chemin jalonné par les réincarnations.

Riez des vaines déclamations : laissez parler les dissidents, criailler ceux qui ne peuvent se consoler de ne pas être les premiers ; tout ce petit bruit n'empêchera pas le Spiritisme de faire invariablement son chemin ; il est une vérité, et comme un fleuve toute vérité doit suivre son cours.

16 août 1867
Société de Paris. (Médium, M. M... en somnambulisme.)

Publications spirites.

Nota. - M. L... venait d'annoncer qu'il se proposait de faire faire des ouvrages spirites qu'il vendrait à des prix fabuleusement réduits. C'est à ce sujet que M. Morin dit ce qui suit pendant son sommeil.

Les spirites sont nombreux aujourd'hui, mais beaucoup ne comprennent pas encore la portée éminemment moralisatrice et émancipatrice du Spiritisme. Le noyau qui a toujours suivi la bonne route continue sa marche lente mais sûre ; il s'éloigne de tous les partis pris, il s'occupe de ceux qu'il laisse en chemin.

Malheureusement, même parmi les membres qui forment le noyau fidèle, il en est qui voient tout en beau chez les autres comme chez eux, et, facilement, bénévolement, se laissent prendre aux apparences et vont sottement se prendre à la glu de leurs ennemis, d'une personnalité qui dit se dépouiller, donner son sang, son bien, son intelligence pour le triomphe de l'idée. Eh bien ! relisez la communication (communication qu'il venait d'écrire), et vous verrez que chez certains individus de tels sacrifices ne peuvent être faits sans arrière-pensée.

Il faut se défier des dévouements et des générosités de parade, comme de la véracité des gens qui disent qu'ils ne mentent jamais.

Prétendre donner une chose à des prix impossibles sans y perdre, c'est une rubrique de métier ; faire plus encore : donner pour rien, soi-disant par excès de zèle à titre de prime, tous les éléments d'une doctrine sublime, c'est le sublime de l'hypocrisie. Spirites, prenez garde à vous !

16 août 1867
(Société de Paris, Médium M. D...)

Evénements.

13. - La société en général, ou, pour mieux dire, la réunion d'êtres, tant incarnés que désincarnés, qui composent la population flottante d'un monde, en un mot une humanité, n'est autre qu'un grand enfant collectif qui, comme tout être doué de vie, passe par toutes les phases qui se succèdent chez chacun depuis la naissance jusqu'à l'âge le plus avancé ; et de même que le développement de l'individu est accompagné de certaines perturbations physiques et intellectuelles qui incombent plus particulièrement à certaines périodes de la vie, l'humanité a ses maladies de croissance, ses bouleversements moraux et intellectuels. C'est à l'une de ces grandes époques qui terminent une période et qui en commencent une autre qu'il vous est donné d'assister. Participant à la fois aux choses du passé et à celles de l'avenir, aux systèmes qui s'écroulent et aux vérités qui se fondent, ayez soin, mes amis, de vous mettre du côté de la solidité, de la progression et de la logique, si vous ne voulez être entraînés à la dérive ; et d'abandonner des palais somptueux quant à l'apparence, mais vacillant par la base et qui enseveliront bientôt sous leurs ruines les malheureux assez insensés pour ne pas vouloir en sortir, malgré les avertissements de toute nature qui leur sont prodigués.

Tous les fronts s'assombrissent et le calme apparent dont vous jouissez ne sert qu'à accumuler un plus grand nombre d'éléments destructeurs.

Quelquefois, l'orage qui détruit le fruit des sueurs d'une année est précédé d'avant-coureurs qui permettent de prendre les précautions nécessaires, pour éviter, autant que possible, la dévastation. Cette fois, il n'en sera pas ainsi. Le ciel assombri semblera s'éclaircir ; les nuages fuiront ; puis, tout d'un coup, toutes les fureurs longtemps comprimées se déchaîneront avec une violence inouïe.

Malheur à ceux qui ne se seront pas préparé un abri ! Malheur aux fanfarons qui iront au danger le bras désarmé et la poitrine découverte ! Malheur à ceux qui affronteront le péril la coupe à la main ! Quelle déception terrible les attend ! La coupe tenue par leur main n'aura pas atteint leurs lèvres, qu'ils seront frappés !

A l'oeuvre donc, Spirites, et n'oubliez pas que vous devez être tout prudence et tout prévoyance. Vous avez un bouclier, sachez vous en servir ; une ancre de salut, ne la négligez pas.

9 septembre 1867
(Ségur, Séance intime. Médium M. D...)

Mon nouvel ouvrage sur la Genèse.

(Communication spontanée.)

Deux mots d'abord pour l'oeuvre qui est sur le chantier. Comme nous l'avons dit maintes fois, il est urgent de la mettre à exécution sans retard et de presser le plus possible sa publication. Il est nécessaire que la première impression soit produite sur les esprits lorsque le conflit européen éclatera ; si elle tardait, les événements brutaux pourraient détourner l'attention des oeuvres purement philosophiques ; et comme cet ouvrage est appelé à jouer son rôle dans l'élaboration qui se prépare, il ne faut pas manquer de le présenter en temps opportun. Cependant il ne faudrait pas non plus, pour cela, en restreindre les développements. Donnez-y toute l'ampleur désirable ; chaque petite partie a son poids dans la balance d'action, à une époque aussi décisive que celle-ci, il ne faut rien négliger, pas plus dans l'ordre matériel que dans l'ordre moral.

Je suis satisfait personnellement du travail, mais mon opinion est peu de chose auprès de la satisfaction de ceux qu'il est appelé à transformer. Ce qui me réjouit surtout, ce sont ses conséquences sur les masses, tant de l'espace que de la terre.

Dem. - Si rien ne vient à la traverse, l'ouvrage pourra paraître en décembre. Prévoyez-vous des obstacles ?

Rép. Je ne prévois point de difficultés insurmontables ; votre santé serait le principal, c'est pourquoi nous vous conseillons sans cesse de ne pas la négliger. Quant à des obstacles extérieurs, je n'en pressens pas de sérieux.

Dr. D.

22 février 1868
(Communication particulière. Médium M. D...)

La Genèse.

A la suite d'une communication du Dr Demeure, dans laquelle il me donna de très sages conseils sur les modifications à apporter au livre de la Genèse, lors de sa réimpression, dont il m'engageait à m'occuper sans retard, je lui dis :

La vente si rapide jusqu'ici se calmera, sans doute ; c'est l'effet du premier moment. Je crois donc que la 4° et la 5° édition seront plus longues à s'écouler. Néanmoins, comme il faut un certain temps pour la révision et la réimpression, il importe de n'être pas pris au dépourvu. Pourriez-vous me dire approximativement combien j'ai de temps devant moi, pour agir en conséquence ?

Rép. - C'est un travail sérieux que cette révision, et je vous engage à ne pas attendre trop tard pour l'entreprendre : il vaut mieux que vous soyez prêt avant l'heure que si l'on devait attendre après vous. Surtout ne vous pressez point. Malgré la contradiction apparente de mes paroles, vous me comprenez sans doute. Mettez-vous promptement à l'oeuvre, mais ne vous y tenez pas d'arrache-pied trop longtemps. Prenez votre temps ; les idées seront plus nettes, et le corps y gagnera de se moins fatiguer.

Il faut néanmoins vous attendre à un écoulement rapide. Lorsque nous vous avons dit que ce livre serait un succès parmi vos succès, nous entendions à la fois un succès philosophique et matériel. Comme vous le voyez, nos prévisions étaient justes. Soyez prêt à toute heure, cela sera plus prompt que vous ne le supposez.

Remarque. - Dans une communication du 18 décembre, il est dit : Ce sera, certes, un succès parmi vos succès. Il est remarquable qu'à deux mois d'intervalle un autre Esprit répète précisément les mêmes paroles, en disant : Lorsque NOUS vous avons dit, etc. Ce mot NOUS prouve que les Esprits agissent de concert, et que souvent un seul parle au nom de plusieurs.

Paris, 23 février 1868
(Communication intime donnée à M. C..., médium.)

Evénements.

Occupez-vous dès à présent du travail que vous avez ébauché sur les moyens d'être un jour utile à vos frères en croyance et de servir la cause de la doctrine, parce qu'il serait possible que les événements qui se dérouleront ne vous laissent pas des loisirs suffisants pour vous y livrer.

Ces événements eux-mêmes amèneront des phases pendant lesquelles la pensée humaine pourra se produire avec une liberté absolue. Dans ces moments-là les cerveaux en délire, dépourvus de toute direction saine, enfanteront de telles énormités que l'annonce de l'apparition prochaine de la bête de l'apocalypse n'étonnerait personne et passerait inaperçue. Les presses vomiront toutes les folies humaines jusqu'à l'épuisement des passions qu'elles auront engendrées.

Un pareil temps sera favorable aux spirites. Ils se compteront ; ils prépareront leurs matériaux et leurs armes. Personne ne songera à les inquiéter, car ils ne gêneront personne. Ils seront seuls les disciples de l'Esprit, et les autres seront les disciples de la matière.

Mes travaux personnels. Conseils divers.

Paris, 4 juillet 1868. - Médium M. D...

Vos travaux personnels sont en bonne voie ; poursuivez la réimpression de votre dernier ouvrage ; faites votre table générale pour la fin de l'année, c'est une chose utile, et reposez-vous du reste sur nous.

L'impulsion produite par la Genèse n'est qu'à son début, et bien des éléments ébranlés par son apparition se rangeront bientôt sous votre drapeau ; d'autres oeuvres sérieuses paraîtront encore pour achever d'éclairer la pensée humaine sur la nouvelle doctrine.

J'applaudis également à la publication des lettres de Lavater : c'est une petite chose destinée à produire de grands effets. En somme, l'année sera fructueuse pour tous les amis du progrès rationnel et libéral.

Je suis aussi entièrement d'avis de publier le résumé que vous vous proposez de faire sous forme de catéchisme ou manuel, mais je suis aussi d'avis de l'éplucher avec soin. Lorsque vous serez pour le faire paraître, n'oubliez pas de me consulter sur le titre, j'aurai peut-être un bon avis à vous donner alors et dont les termes dépendront des événements accomplis.

Lorsque nous vous conseillâmes dernièrement de ne pas attendre trop tard pour vous occuper du remaniement de la Genèse, nous vous disions qu'il y aurait à ajouter en différents endroits, à combler quelques lacunes, et à condenser ailleurs la matière, afin de ne pas donner plus d'étendue au volume.

Nos observations n'ont point été perdues, et nous serons heureux de collaborer au remaniement de cet ouvrage comme d'avoir contribué à son exécution.

Je vous engagerai aujourd'hui à revoir avec soin surtout les premiers chapitres, dont toutes les idées sont excellentes, qui ne contiennent rien que de vrai, mais dont certaines expressions pourraient prêter à une interprétation erronée. Sauf ces rectifications que je vous conseille de ne point négliger, car on se rejette sur les mots lorsqu'on ne peut attaquer les idées, je n'ai rien autre chose à vous indiquer à ce sujet. Je conseille, par exemple, de ne point perdre de temps ; il vaut mieux que les volumes attendent le public que de se trouver à court. Rien ne déprécie une oeuvre comme une lacune dans la vente. L'éditeur impatienté de ne pouvoir répondre aux demandes qui lui sont faites et qui manque l'occasion de vendre, se refroidit pour les ouvrages d'un auteur imprévoyant ; le public se fatigue d'attendre et l'impression produite a peine à s'effacer.

D'autre part, il n'est pas mauvais que vous ayez quelque liberté d'esprit pour parer aux éventualités qui peuvent naître autour de vous, et donner vos soins à des études particulières qui, selon les événements, peuvent être suscitées actuellement ou remises à des temps plus propices.

Tenez-vous donc prêt à tout ; soyez dégagé de toute entrave, soit pour vous adonner à un travail spécial, si la tranquillité générale le permet, soit pour être préparé à tout événement si des complications imprévues venaient nécessiter de votre part une détermination subite. L'année prochaine sera bientôt atteinte ; il faut donc, dans la fin de celle-ci, mettre la dernière main à la première partie de l'oeuvre spirite, afin d'avoir le champ libre pour terminer la tâche qui concerne l'avenir.

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Hors la Charité, point de salut.

Ces principes, pour moi, ne sont pas seulement en théorie, je les mets en pratique ; je fais le bien autant que le permet ma position ; je rends service quand je puis ; les pauvres ont-ils jamais été rebutés chez moi ou traités avec dureté ? à toute heure n'ont-ils pas toujours été reçus avec la même bienveillance ? ai-je jamais plaint mes pas et mes démarches pour rendre service ? des pères de famille ne sont ils pas sortis de prison par mes soins ? Certes, il ne m'appartient pas de faire l'inventaire du bien que j'ai pu faire ; mais, dans un moment où l'on semble tout oublier, il m'est bien permis, je crois, de rappeler à mon souvenir que ma conscience me dit que je n'ai fait de tort à personne, que j'ai fait tout le bien que j'ai pu, et cela, je le répète, sans demander compte de l'opinion ; sous ce rapport ma conscience est tranquille, et de quelque ingratitude que j'aie pu être payé en plus d'une occasion, cela ne saurait être pour moi un motif de cesser de le faire ; l'ingratitude est une des imperfections de l'humanité, et comme personne de nous n'est exempt de reproches, il faut savoir passer aux autres pour qu'on nous passe à nous-mêmes, afin qu'on puisse dire, comme J.-C. : «Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre.» Je continuerai donc à faire le plus de bien que je pourrai, même à mes ennemis, car la haine ne m'aveugle pas ; et je leur tendrai toujours la main pour les tirer d'un précipice si l'occasion s'en présentait.

Voilà comment j'entends la charité chrétienne ; je comprends une religion qui nous ordonne de rendre le bien pour le mal, à plus forte raison de rendre le bien pour le bien. Mais je ne comprendrais jamais celle qui nous prescrirait de rendre le mal pour le mal. (Pensées intimes d'Allan Kardec, document retrouvé dans ses papiers.)


1 La Librairie spirite les possède toujours.